Un western chinois sidère la Mostra

C-E

Dieu
Modérateur
19 Nov 2009
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Peking
Venise Envoyé spécial - La tradition du film surprise, qui vient subrepticement se glisser au milieu du programme, est désormais bien établie à la Mostra de Venise. Cachées jusqu'au jour de sa projection, l'identité du réalisateur et celle du film font l'objet des rumeurs les plus furieuses chez les cinéphiles, qui sont, comme chacun sait, de grands enfants, créant un effet de mercato et de suspense assez amusant. Le tropisme du délégué artistique Lien retiré - sinophile et sinophone distingué arborant l'inaliénable veste mao noire - pour le cinéma asiatique en général, et plus particulièrement chinois, émousse néanmoins la révélation de ladite surprise, qui se révèle souvent asiatique, et de préférence chinoise.

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Bingo : c'est encore le cas cette année, avec la sélection en compétition de Lien retiré, Lien retiré, deuxième long métrage de Cai Shangjun. Son réalisateur, né en 1967 à Pékin, vient de la scène théâtrale et est l'auteur d'un premier film (Lien retiré Own, 2007) qui n'a pas été distribué en France. Autant dire qu'il est un illustre inconnu, mais qu'il devrait en toute justice ne pas le rester très longtemps. Son film est, de fait, une très grosse surprise, la meilleure qu'ait réservée la Mostra depuis sept jours. Inspiré d'un fait divers, le film est un implacable récit de vengeance qui se situe dans la province de Guizhou, une région reculée du Sud-Ouest qui accuse un retard économique et un assujettissement très relatif à la loi du pouvoir central.

Cette terre propice à l'affranchissement criminel, avec ses espaces arides et son soleil minéral, fait un excellent décor de western. Ce que ne manque pas d'être, dans une radicale transfiguration, ce film de poursuite impitoyable, laconique et elliptique, qui ferait passer Clint Eastwood pour une pipelette incapable de dominer ses nerfs. Son héros, qui profère à tout casser cinquante mots en cours de route, se nomme Lao Tie. C'est un paysan paisible, que la découverte du cadavre de son jeune frère, assassiné pour sa moto, transforme en bloc de granit lancé à la recherche du meurtrier que la police a laissé échapper.


La nature de sa vengeance est à la mesure de la turpitude du crime auquel le spectateur a quant à lui assisté. C'est la première séquence du film, elle est fracassante. Sur un chemin sablonneux de montagne, un homme demande à un motard de le prendre avec lui. En chemin, il fait arrêter l'engin sous prétexte d'une envie pressante, puis revient tranquillement poignarder le motard dans le dos. La scène, filmée sans un mot en plan éloigné, n'en est que plus inattendue, plus brutale. Le pire est pourtant à venir. Tandis que le plan reste fixé sur la scène du crime, l'assassin s'enfuit en moto, puis y revient quelques instants après, qui paraissent une éternité, pour achever sa victime, avant de repartir à nouveau.


Ce geste atroce commis au grand jour sous la blancheur du soleil, cet inexorable redoublement du crime qui en accuse la volonté et la conscience, place le film sous les terribles auspices de la misère sociale et de l'abjection du mal. C'est du western, mais c'est aussi la Bible et Lien retiré réunis. La traque qui s'ensuit est par ailleurs la chose la plus étonnante qu'on ait vue au cinéma depuis longtemps : une course lente et poétique, la fureur silencieuse du désespoir en marche contre l'injustice, une révolte aux lueurs d'apocalypse. Inauguré dans la lumière aveuglante du mal, le film se termine dans les ténèbres d'une mine illégale, pour un règlement de compte halluciné parmi les damnés de la terre. C'est la fin du monde, et c'est en même temps l'appel à son recommencement. Le film attend son visa pour la Chine, et des distributeurs pour le reste du monde.


Jacques Mandelbaum
 
Après le western spaghetti, voici le western vermicelle ...

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