Les tribulations linguistiques de Tom et Jerry en Chine --par Christopher Bodeen--
AP | 03.12.04 | 17:15
SHANGHAI (AP) -- Le dessin animé «Tom et Jerry» se retrouve au coeur d'un débat linguistique en Chine sur la primauté du mandarin, considéré par les autorités comme un instrument d'unité nationale dans un pays où l'on compte 56 groupes ethniques, sept grands dialectes chinois et d'autres langues minoritaires.
Doublées dans les dialectes chinois régionaux, les aventures du «Chat et de la souris», nom local du célèbre dessin animé américain, ont connu un grand succès à la télévision. Mais l'Administration de la radio, du film et de la télévision a décidé de supprimer la diffusion de la série dans ces langues locales, estimant que les enfants devaient être élevés dans un «environnement linguistique favorable», c'est-à-dire en mandarin.
Les autorités chinoises font depuis des décennies la promotion du mandarin. Elles considèrent que cette politique est essentielle pour l'émergence d'une identité commune dans cette immense mosaïque de 1,3 milliard d'habitants.
Pour la seule majorité ethnique Han, on recense sept dialectes principaux. Et il existe également des langues totalement distinctes du chinois qui sont parlées par des peuples minoritaires comme les Tibétains, les Ouïghours ou les Mongols.
La promotion du mandarin, connu en Chine sous le nom de «putonghua» (»langue commune»), a commencé dans les années vingt et est devenue une politique nationale en 1955, six ans après l'arrivée au pouvoir des communistes. Son utilisation a été encouragée par d'innombrables campagnes, dont la dernière en date cible notamment les habitants de Shanghaï qui parlent le shanghaïen. Des affiches les exhortent ainsi à «parler mandarin (...) pour être une personne moderne».
Les responsables de la mégapole sont priés de suivre des cours pour améliorer leur prononciation, les écoles de la ville organisent des concours d'éloquence en mandarin et les étrangers sont invités à s'initier à la langue nationale.
Les idiomes de groupes ethniques comme les Tibétains, les Mongols et les Ouïghours sont toutefois reconnus officiellement et enseignés à l'école dans ces régions autonomes. Les documents importants sont traduits dans les langues des principales minorités et quatre d'entre elles (tibétain, mongol, ouïghour et zhuang) figurent sur les billets de banque.
Au contraire de ces langues qui ont leur propre alphabet, les dialectes chinois sont basés sur le même système d'écriture, les idéogrammes. Ceux qui parlent le cantonais peuvent ainsi comprendre sans problème des films sous-titrés en mandarin.
Toutefois, des barrières linguistiques demeurent. De nombreuses régions se dirigent vers une situation de «diglossie», où l'on parle une langue en public et une autre avec ses amis et sa famille, souligne Stevan Harrell, un linguiste de l'université de Washington.
Dans des lieux comme Canton (Guangzhou en mandarin) et Shanghaï, la prévalence d'un dialecte local exclut les personnes extérieures à la ville des réseaux relationnels considérés comme essentiels pour obtenir un bon emploi par exemple.
«Si vous voulez trouver un bon travail et réussir à Shanghaï, vous devez parler le shanghaïen. Mais même ainsi, vous pouvez être victime de discrimination si vous avez un accent», souligne Steven Li, un étudiant en comptabilité de Chongqing, une ville du centre du pays.
Mais Zhang Dingguo, un responsable de la troupe de comédiens qui double «Tom et Jerry» en shanghaïen, estime que la diffusion de la série à la télévision permettait de préserver ce dialecte qui fait partie du patrimoine culturel local, et non d'exclure. «Il y a des enfants de Shanghaï qui ne connaissent même pas le shanghaïen», déplore-t-il. «J'ai des amis, qui se sont installés à Shanghaï et qui veulent apprendre le dialecte pour mieux s'intégrer dans la société locale».
Pour l'instant, le dessin animé va continuer à être diffusé en shanghaïen et dans une dizaine d'autres dialectes mais uniquement en cassettes vidéo. Ironie du sort, Tom et Jerry ne parlaient pas dans la version originale de la série et des dialogues ont donc été créés pour les versions chinoises. AP
AP | 03.12.04 | 17:15
SHANGHAI (AP) -- Le dessin animé «Tom et Jerry» se retrouve au coeur d'un débat linguistique en Chine sur la primauté du mandarin, considéré par les autorités comme un instrument d'unité nationale dans un pays où l'on compte 56 groupes ethniques, sept grands dialectes chinois et d'autres langues minoritaires.
Doublées dans les dialectes chinois régionaux, les aventures du «Chat et de la souris», nom local du célèbre dessin animé américain, ont connu un grand succès à la télévision. Mais l'Administration de la radio, du film et de la télévision a décidé de supprimer la diffusion de la série dans ces langues locales, estimant que les enfants devaient être élevés dans un «environnement linguistique favorable», c'est-à-dire en mandarin.
Les autorités chinoises font depuis des décennies la promotion du mandarin. Elles considèrent que cette politique est essentielle pour l'émergence d'une identité commune dans cette immense mosaïque de 1,3 milliard d'habitants.
Pour la seule majorité ethnique Han, on recense sept dialectes principaux. Et il existe également des langues totalement distinctes du chinois qui sont parlées par des peuples minoritaires comme les Tibétains, les Ouïghours ou les Mongols.
La promotion du mandarin, connu en Chine sous le nom de «putonghua» (»langue commune»), a commencé dans les années vingt et est devenue une politique nationale en 1955, six ans après l'arrivée au pouvoir des communistes. Son utilisation a été encouragée par d'innombrables campagnes, dont la dernière en date cible notamment les habitants de Shanghaï qui parlent le shanghaïen. Des affiches les exhortent ainsi à «parler mandarin (...) pour être une personne moderne».
Les responsables de la mégapole sont priés de suivre des cours pour améliorer leur prononciation, les écoles de la ville organisent des concours d'éloquence en mandarin et les étrangers sont invités à s'initier à la langue nationale.
Les idiomes de groupes ethniques comme les Tibétains, les Mongols et les Ouïghours sont toutefois reconnus officiellement et enseignés à l'école dans ces régions autonomes. Les documents importants sont traduits dans les langues des principales minorités et quatre d'entre elles (tibétain, mongol, ouïghour et zhuang) figurent sur les billets de banque.
Au contraire de ces langues qui ont leur propre alphabet, les dialectes chinois sont basés sur le même système d'écriture, les idéogrammes. Ceux qui parlent le cantonais peuvent ainsi comprendre sans problème des films sous-titrés en mandarin.
Toutefois, des barrières linguistiques demeurent. De nombreuses régions se dirigent vers une situation de «diglossie», où l'on parle une langue en public et une autre avec ses amis et sa famille, souligne Stevan Harrell, un linguiste de l'université de Washington.
Dans des lieux comme Canton (Guangzhou en mandarin) et Shanghaï, la prévalence d'un dialecte local exclut les personnes extérieures à la ville des réseaux relationnels considérés comme essentiels pour obtenir un bon emploi par exemple.
«Si vous voulez trouver un bon travail et réussir à Shanghaï, vous devez parler le shanghaïen. Mais même ainsi, vous pouvez être victime de discrimination si vous avez un accent», souligne Steven Li, un étudiant en comptabilité de Chongqing, une ville du centre du pays.
Mais Zhang Dingguo, un responsable de la troupe de comédiens qui double «Tom et Jerry» en shanghaïen, estime que la diffusion de la série à la télévision permettait de préserver ce dialecte qui fait partie du patrimoine culturel local, et non d'exclure. «Il y a des enfants de Shanghaï qui ne connaissent même pas le shanghaïen», déplore-t-il. «J'ai des amis, qui se sont installés à Shanghaï et qui veulent apprendre le dialecte pour mieux s'intégrer dans la société locale».
Pour l'instant, le dessin animé va continuer à être diffusé en shanghaïen et dans une dizaine d'autres dialectes mais uniquement en cassettes vidéo. Ironie du sort, Tom et Jerry ne parlaient pas dans la version originale de la série et des dialogues ont donc été créés pour les versions chinoises. AP