Les chiffres chinois, une autre sorte de signe

mam721

Membre Silver
28 Fev 2011
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Wuhan 武汉
On dit souvent que les Chinois sont très forts en mathématiques et qu’ils aiment les chiffres au point de leur attribuer une signification divinatoire.

La relation qu’entretiennent les Chinois à l’égard des chiffres est particulière. Ceux-ci ne servent pas uniquement à compter ou calculer – on rappelle que ce sont les Chinois qui ont inventé le boulier –, ils cachent un sens particulier et on leur confère presque un pouvoir magique.

Ainsi le « un » 一 () symbolise l’unité, le commencement. Dans le Dao De Jing (Le Livre de la Voie et de la Vertu), ouvrage classique chinois rédigé par Laozi, on peut relever la phrase « Le Dao donne naissance à l'un, l'un au deux, le deux au trois, le trois aux dix mille choses et êtres ». Le chiffre est donc fondateur, le point de départ de toute chose. « Un » est également le premier caractère que l’on apprend en calligraphie : il correspond au trait horizontal. Enfin, d’après l’expression, 一分为二 (yī fēnwéi èr) qui signifie « le un se divise en deux », les Chinois ont une vision dialectique et relative du « un », qui nous amène au « deux ».

Le « deux » 二 (èr) revêt une extrême importance. D’ailleurs, en chinois, pas moins de trois classificateurs différents sont utilisés pour traduire ce chiffre : 两 (liǎng), 双 (shuāng) et 对(duì). Pour les Chinois, « les plus belles choses vont par paire », selon leur proverbe好事成双 (hǎoshì chéng shuāng) .Un couple pourra se dire 二人世界 (èr rén shìjiè), littéralement « le monde de deux personnes ». En outre, lors des mariages, les Chinois collent sur les portes des maisons le caractère du « double bonheur » 囍, pour que les nouveaux époux vivent heureux ensemble jusqu’à la fin de leurs jours. Lorsque l’on accomplit un fait dans le respect des deux parties concernées, on peut utiliser l’expression 两全其美 (liǎng quán qí měi). Cependant, le « deux » peut aussi signifier « stupide, bête » avec une touche de dérision personnelle dans l’interjection 很二!(hěn èr) .

Comme il est écrit dans le Dao De Jing, le « deux » amène le « trois ». Le chiffre « trois » 三 (sān) renferme lui aussi un connotation particulière. Il possède presque une puissance architectonique puisqu’il structure la construction du monde dans la pensée traditionnelle chinoise : 天地人三才 (tiān dì rén sāncái), c’est-à-dire « le Ciel, la Terre et l’Homme : les trois essences ». Par ailleurs, selon la légende, les évolutions historiques de l’homme préhistorique doivent être attribués aux Trois empereurs 三皇 (sānhuáng). Confucius, lui, classe ses amis en trois catégories, répartition appelée 三友 (sānyǒu). La culture philosophique chinoise est elle-même composée de trois enseignements fondateurs : le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, appelée en chinois 三家:儒释道 (sānjiā : rú shì dào).
Le chiffre « trois » peut également être utilisé pour exprimer une petite quantité, comme dans l’expression 三言两语(sānyán liǎngyǔ), littéralement « trois mots et deux phrases », comparable à notre tournure française « en deux mots ».

Avec le chiffre « quatre », on abandonne la graphie minimale des trois chiffres fondateurs 一二三pour entrer dans la multitude… 四 () revêt une connotation négative. Par superstition, on ne le trouve généralement pas dans les numéros de chambre d’hôtel ou d’étage et il est très souvent évité dans les numéros de téléphone portable et les plaques d’immatriculation. Finalement, il équivaut presque au nombre 666 dans la culture occidentale. Ce chiffre « maudit » se prononce en effet, hormis le ton, de la même façon que le caractère死 (), qui signifie « mourir ».

Pourtant, on peut conjurer le sort en regroupant une famille de « quatre générations sous un même toit » 四世同堂 (sìshì tóngtáng) ce qui renvoie à l’idéal de la famille chinoise ainsi qu’au titre d’un roman de Lao She, très apprécié en Chine. Ce chiffre est également un symbole culturel, puisqu’il fait référence aux Quatre Livres 四书 que sont Les Entretiens de Confucius, La Grande Étude, Doctrine du juste milieu et Mencius, qui constituent la Bible de tout confucianiste averti. « Quatre » est aussi utilisé pour désigner les Quatre Classiques de la Littérature 四大名著 (sìdà míngzhù) qui sont Histoire des Trois Royaumes, Au bord de l’eau, Le Voyage en Occident et Le Rêve dans le pavillon rouge. De quoi vous tenir en haleine jusqu’au « cinq »...

Le « cinq » 五(wǔ)nous rapproche un peu plus de la multitude. Associé au « quatre » 四, ce chiffre peut exprimer une quantité d’éléments, comme dans l’expression 五湖四海(wǔhú sìhǎi), littéralement « les cinq lacs et les quatre mers », qui signifie plus globalement « toutes les parties du monde ».

Comme le « trois » ou le « quatre », le « cinq » joue également le rôle de chiffre « fourre-tout ». On l’utilise en médecine pour désigner les cinq viscères 五脏 (wǔzàng), que sont le cœur, le foie, la rate, les poumons et les reins. Ce terme signifie plus généralement l’ensemble des parties viscérales de l’organisme. On le retrouve aussi dans une expression populaire : « Le moineau est petit, mais il a toutes ses viscères » (麻雀虽小五脏俱全, máquèsuī xiǎo wǔzàng jùquán), ce qui veut dire en fait « petit, mais néanmoins complet ».

Comme vous avez certainement dû le remarquer, les Chinois ont tendance à établir des classements. On retrouve le chiffre « cinq » dans 五岳 (wǔyuè), les cinq montagnes sacrées chinoises : le mont Taishan dans l’Est, le mont Huashan dans l’Ouest, le mont Hengshan dans le Sud, le mont Hengshan dans le Nord et le mont Songshan au centre du pays. On devine alors les cinq directions chinoises 五方(wǔfāng) : est, ouest, sud, nord et centre. Nous n’en avons que quatre en français : nord, sud, est et ouest.

Enfin, dans la littérature, il existe les Cinq Classiques 五经(wǔjīng), qui associés aux Quatre Livres 四书, forment un corpus exhaustif sur la morale chinoise. Ces Cinq Classiques regroupent le Classique des mutations, le Classique des documents, le Classique des vers, le Classique des rites et les Annales des Printemps et Automnes.
 
Le six 六 (liù) est certainement l'un des chiffres les plus importants de la culture chinoise. Dans la tradition confucianiste, le six fait référence aux relations familiales 六亲 (liùqīn) : père-fils, frère aîné-frère cadet, mari-femme. Ce terme s'utilise aujourd'hui de façon générale, signifiant les membres d'une famille. On le retrouve dans les expressions 六亲不认 (liùqīn bùrèn) (renier, être ingrat envers sa famille) ou 六亲无靠 (liùqīn wúkào) (être sans famille).

Le six est également l'un des chiffres « porte-bonheur » des Chinois, associé à la réussite, au succès. Les couples choisissent souvent de se marier le 6 juin (6/6). À l'inverse de notre culture, où le six répété trois fois forme un nombre maléfique, les Chinois recherchent des plaques d'immatriculation ou des numéros de téléphone contenant deux ou trois six.

Le sept 七 (qī), dont la graphie fait penser à notre chiffre arabe retourné, est plus neutre. Il est très souvent employé avec le huit pour former des expressions signifiant « le désordre ». Ainsi, on pourra dire pour une maison mal rangée qu'elle est 乱七八糟 (luànqībāzāo) ; suite à une grosse frayeur ou lorsque l'on craint d'avoir mal fait quelque chose, on pourra décrire ce sentiment avec 七上八下 (qīshàng bāxià), littéralement « sept dessus et huit dessous », comparable à l'expression française « être sans dessus dessous ».

Le sept est par ailleurs empreint de philosophie bouddhiste, puisqu'il est utilisé pour désigner les sept sentiments 七情 (qīqíng), que sont la joie, la colère, la tristesse, la peur, l'amour, la haine, la possession, sentiments qui seraient une entrave à « l'éveil ».

Le huit 八 (bā), étonnamment, revient à une graphie plus minimaliste avec seulement deux traits, qui semblent ne se rejoindre qu'à l'infini. Il fait partie des chiffres les plus appréciés en Chine. Sa prononciation étant en effet similaire au caractère « faire fortune », il est très prisé pour les dates de mariage et d'inauguration. La plupart des magasins réouvrent ainsi le huitième jour 初八 (chūbā) de la nouvelle année.

Le yin et le yang, l'un des symboles de la culture chinoise, sont entourés de diagrammes, dessinant ainsi « la carte des huit diagrammes », 八卦图 (bāguà tú). Il est intéressant de noter que cette expression des « huits diagrammes », 八卦, a pris aujourd'hui le sens de « nouvelles people ».

Nous arrivons au neuf 九 (jiǔ), dont la graphie ressemble étrangement à celle de son homophone 久 (longtemps). Cette particularité est souvent soulignée pour faire un rapprochement entre le chiffre neuf et l'éternité.

La Chine mythique était ainsi surnommée 九州 (jiǔzhōu), les « neuf provinces ». Celui qui détenait les neuf vasques rituels 九鼎 (jiǔdǐng), fondus par le roi Zhou, en devenait le souverain légitime.

Le neuf, chiffre le plus grand, est forcément le chiffre impérial par excellence. Il existait ainsi plusieurs murs représentant neuf dragons en Chine 九龙壁 (jiǔlóngbì), dont les plus connus se trouvent au parc Beihai et dans la Cité interdite. Seul l'empereur était autorisé à posséder ce genre de sculpture et à utiliser le neuf. Pour information, la Cité interdite compte 9999 pièces.

Le dix, représenté par une croix 十 (shí), est un chiffre très « visuel ». Pour l'indiquer avec les doigts, les Chinois croisent les index de chacune de leur main. De plus, on utilise ce même caractère pour désigner la croix chrétienne十字架 (shízìjià) ou un carrefour 十字路口 (shízìlùkǒu).

À la croisée entre les chiffres et les nombres, le dix connote une certaine perfection. Les adverbes 十全十美 (shíquán shíměi) « dix complet dix parfait » ou 十分 (shífēn) « dix points » expriment l'abondance ou la perfection. Le dix peut également être utilisé en association avec le neuf pour former une expression manifestant sa conviction ou sa confiance envers quelque chose : 十拿九稳 (shínájiǔwěn).