le texte narratif surl exode
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[FONT="]Exode de mai-Juin 1940 :[/FONT]
[FONT="]témoignage de Edmée et Paul ARMA, qui quittent la région parisienne pour fuir l' avance allemande en direction de Châteauneuf-sur- Loire pour essayer de traverser la Loire : [/FONT]
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Nous sommes exténués. Mon esprit et mon corps ne supportent plus l’ahurissante situation qui est la nôtre, à tous.
Je ne comprends pas comment Paul peut encore conduire. [/FONT]
[FONT="]Des soldats compatissants nous ont donné de l'essence : comme je suis enceinte, il m’a suffit d’arriver près d’une voiture militaire, en déroute elle aussi, un bidon à la main, pour qu’on partage avec nous.
Nous quittons la route et nous nous arrêtons dans un hameau vide où nous trouvons une ferme ouverte et déserte. Je peux enfin m' étendre sur un lit, pendant que Paul veille. Nous regrettons de ne pas savoir traire, car des vaches errent, meuglant avec leurs pis trop lourds. Nous nous nourrissons d'oeufs que nous tirons des nids, nos provisions sont épuisées et enfin nous buvons de l'eau fraîche : jusque là, nous navons eu que de l’infecte eau tiède vendue fort cher ou du vin que les soldats nous offraient avec l'essence.
Nous voulons prolonger notre repos, dans un champ, à l'ombre d’une haie. Le calme est un miracle. [/FONT]
[FONT="]Nous somnolons, à demi conscients du silence, de la chaleur, de la lumière qui rendent l' air palpable au-dessus des graminées que nous écrasons. L' odeur des tiges brisées et des feuilles meurtries nous environne, puissante, stagnante, dans la touffeur de ce midi d’été.
Brusquement, de tous côtés, nous entendons tirer. [/FONT]
[FONT="]Non loin d’un parc, s'élève la fumée épaisse d’un château en feu.[/FONT]
[FONT="]Il nous faut partir, retrouver sur la route d'autres fuyards avec des voitures de plus en plus démantibulées ; des soldats à pied à la recherche de l' intendance. Nous en transportons sur les marchepieds de la voiture miraculeusement intacte. [/FONT]
[FONT="]Nous traversons Bellegarde où nous assistons au spectacle écoeurant du pillage de boutiques éventrées. [/FONT]
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Les gens sortent des magasins les bras chargés de tout ce qui peut se voler et entassent leur butin : chaussures, vêtements, quincaillerie – il y a longtemps que la nourriture a été emportée – dans ce qu' ils poussent ou traînent et qui s’effondre un peu plus loin. [/FONT]
[FONT="]On vide les voitures tombées en panne : celle d’un représentant est délestée de centaines de brosses à dents, de tubes de dentifrices, de savonnettes et même de tracts publicitaires… Tout devient insensé. [/FONT]
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A la tombée du jour, dans les champs qui précèdent la forêt d’Orléans, on voit çà et là un soldat sénégalais qui déchaussé, s’agenouille sur son tapis de prières. Je vis ces heures comme un cauchemar. Paul garde toujours son étonnant sang-froid. [/FONT]
[FONT="]Le bombardement devient intense autour de nous. Nous nous arrêtons à l'orée de la forêt et attendons le jour, éveillés et muets, abrutis de fatigue, d’émotion, de crainte, dans l' énorme vacarme qui nous environne.
Souvent, je pose la main sur mon ventre car je pense que l'enfant ne supportera pas plus longtemps cette épreuve ; un seul espoir : atteindre Chateauneuf sur Loire et passer le fleuve… [/FONT]
[FONT="]Lundi matin, c' est le 17 juin, nous sommes en chemin depuis cinq jours.
Nous entendons derrière nous des bruits de bataille qui se rapprochent. Une voiture militaire se fraye un passage au milieu de la cohue, transportant à son bord un officier en uniforme français qui, à l’aide d’un porte-voix, crie :
- « Ecartez-vous pour laisser passer le Génie qui doit déminer la forêt. Arrêtez-vous sur les côtés de la route, laissez passer le Génie. Il y a danger ! »
Docilement, par un reste de discipline, et surtout par peur, chacun obéit. Tout se range comme c’est possible sous les arbres. … Nous attendons les… soldats français du Génie et nous voyons arriver… des voitures allemandes, des militaires allemands, des camions allemands… Le tour a été admirablement joué ! Nous n’atteindrons jamais la Loire mais les convois allemands, grâce à cette ruse, y parviendront vite ![/FONT]
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La vue des uniformes allemands fige la foule désordonnée et la rend muette. Seuls bougent des jeunes gens qui se glissent sous les charrettes, les camions, et des soldats français qui s’égaillent sous le couvert de la forêt. Les hommes en vert de gris dédaignent ce gibier : Ils n’ont qu’un objectif : avancer le plus facilement et le plus rapidement possible. Je ne cesse de répéter :
« Que va-t-il arriver maintenant ? ». « Que va-t-il arriver maintenant ? », prise de panique en songeant surtout à Paul que j' imagine, dans mon désarroi, emmené à l' instant même.
Par un curieux réflexe de prudence, je déchire en menus morceaux sa carte de combattant volontaire et l' enfouis sous un buisson.[/FONT]
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[FONT="] Un soldat allemand crie en français :
« Le Maréchal Pétain a demandé cette nuit de cesser le combat. Vous navez rien à craindre. Vous devez rester sur place jusquà ce qu’il vous soit ordonné de faire demi-tour et de retourner chez vous. Une distribution de vivres va se faire dans une heure. Un membre de chaque famille peut se présenter ».
Un camion de ravitaillement de l'armée française a été abandonné non loin de là, des soldats allemands distribuent des rations à ceux qui, déjà font la queue. A six heures, l' ordre est donné de prendre la route dans l’autre sens et cette fois il y a presque de l' organisation dans la remise en marche du troupeau hébété.
Des morts isolés, qu' entourent des familles, gisent çà et là dans les fossés. Je n' oublierai jamais le visage blême et figé dune jeune fille en robe d’été allongée dans l' herbe, éclairée de boutons d’or.[/FONT]
[FONT="]La Paix[/FONT][FONT="] est pour ces morts, pour eux seuls.
Reprenant à l' envers le chemin parcouru si péniblement, nous décidons de dépasser Bellegarde et de nous réfugier dans la ferme que nous avons quittée la veille. [/FONT]
[FONT="]Elle est encore déserte et, après avoir abrité la voiture dans une grange, nous nous couchons, exténués, dans le lit accueillant de la grande chambre. Nous passons encore une journée et une nuit dans la maison qui échappe ainsi au pillage, celui-ci continuant malgré les circonstances, et nous voyons revenir les propriétaires, de retour d’un long vagabondage, bien aises de retrouver leur bien intact.
Combien de Français, ce mardi 18 juin 1940 que nous vivons rompus dans une ferme de Montliard, les oreilles encore pleines du bruit de la bataille ; combien de Français entendent-ils un certain de Gaulle lancer un appel qui deviendra célèbre ?
Qui, hormis les sages qui ont résisté à la panique, ouvre son poste de T .S. F. ?
Ils se diront des milliers, plus tard, oubliant que ce jour-là ils étaient quelque part au bord d’un fossé, sur une place de village, dans une forêt, à la recherche d' un enfant, d' un aïeul égarés, les mains vides ou trop pleines de rapines. Nous n'entendons pas de Gaulle, et nous rentrons chez nous pour un avenir plus qu’incertain. [/FONT]