Le hasardeux projet des «routes de la soie» de la Chine se retourne contre elle
La Chine s’est rapprochée des pays en développement en leur octroyant des crédits. Des crédits dont des chercheurs estiment qu’une grande partie ne sera pas remboursée. La réaction de Pékin pourrait encore aggraver la situation, et déclencher des crises de la dette souveraine à l’échelle mondiale.
La Chine s’est rapprochée des pays en développement en leur octroyant des crédits. Des crédits dont des chercheurs estiment qu’une grande partie ne sera pas remboursée. La réaction de Pékin pourrait encore aggraver la situation, et déclencher des crises de la dette souveraine à l’échelle...
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Le Sri Lanka, où la Chine avait financé la construction d’un grand port à Hambantota, a dû se déclarer insolvable en avril dernier et se trouve donc dans l’incapacité de rembourser quelque 50 milliards de dettes étrangères. - Liu Hongru/Xinhua/Belga
L’économiste Carmen Reinhart est considérée comme l’une des plus grandes spécialistes du thème de l’endettement. Les travaux de cette professeure de Harvard et de son collègue Kenneth Rogoff ont largement influencé le débat public dans le cadre de la crise de l’euro. Si elle met aujourd’hui en garde contre un déséquilibre du système financier, elle est donc assurée d’attirer l’attention.
Cette fois, il ne s’agit toutefois pas de la zone euro, mais de la Chine. Reinhart a constaté, avec d’autres chercheurs, que 60 % des crédits accordés par la Chine à l’étranger sont désormais menacés de défaut de paiement, des défaillances qui pourraient mettre les banques chinoises en difficulté. Ces conclusions, que nous avons pu consulter en avant-première, ont été établies par Reinhart et des chercheurs de la Banque mondiale, du Kiel Institut für Weltwirtschaft et du groupe de recherche AidData.
La Chine ne dévoile rien de ses crédits, mais les chercheurs partent du principe que les créanciers chinois ont prêté des centaines de milliards de dollars aux pays pauvres au cours des 20 dernières années. D’après leurs estimations, le montant de ces crédits irait jusqu’à un billion de dollars (0,92 billion d’euros), des crédits qui devaient principalement servir à financer des projets d’infrastructure.
Ces prêts font partie de l’initiative des « routes de la soie », par laquelle la Chine entend resserrer les liens logistiques et économiques avec les pays en développement et émergents. La nouvelle infrastructure financée par la Chine a pour but d’assurer l’approvisionnement de la Chine en matières premières en provenance d’Afrique et d’Amérique du Sud, et de permettre aux usines chinoises d’atteindre plus facilement les clients étrangers.
Cette stratégie ne semble toutefois pas fonctionner comme l’espéraient les dirigeants de Pékin. Certains emprunteurs ont déjà connu des défaillances spectaculaires par le passé : le Sri Lanka, par exemple, où la Chine avait financé la construction d’un grand port à Hambantota, a dû se déclarer insolvable en avril dernier et se trouve donc dans l’incapacité de rembourser quelque 50 milliards de dettes étrangères.
Les crédits de sauvetage chinois
D’après la société d’analyse Rhodium Group, rien qu’en 2020 et 2021, les banques chinoises ont dû rééchelonner près de 52 milliards de dollars (47,83 milliards d’euros) de crédits accordés aux pays pauvres, principalement en raison de la pandémie de coronavirus. Après la pandémie, la forte hausse des taux d’intérêt dans le monde entier a mis les pays émergents et en développement fortement endettés sous pression. Après les rééchelonnements de dettes, ce sont désormais les pertes sur crédit qui menacent.
Reinhart et ses coauteurs ont constaté que ces dernières années, la Chine a commencé à accorder systématiquement des crédits de sauvetage pour éviter les défaillances. Selon eux, rien que jusqu’à fin 2021, Pékin a accordé des prêts de sauvetage d’une valeur totale de 240 milliards de dollars (220,74 milliards d’euros), et ce, afin de préserver la liquidité des emprunteurs et de protéger les banques chinoises. Pour parvenir à cette conclusion, les auteurs ont analysé les flux de paiement des banques centrales et d’autres institutions. « La Chine essaie, en fin de compte, de sauver ses propres banques », explique Carmen Reinhart. « C’est pourquoi elle s’est lancée dans l’opération risquée des crédits de sauvetage internationaux. »
Les crédits de sauvetage chinois eux-mêmes pourraient toutefois renforcer à long terme les difficultés de paiement des pays concernés, préviennent les auteurs. Car le taux d’intérêt moyen des prêts de sauvetage est très élevé, à savoir 5 %. C’est énorme quand on sait qu’un crédit de sauvetage typique du Fonds monétaire international ne rapporte qu’un intérêt de 2 %. Les crédits de sauvetage de Pékin pourraient ainsi résoudre les problèmes de liquidités des débiteurs, mais pas les problèmes financiers à long terme.
L’octroi de crédits par la Chine est difficilement compréhensible
Ce qui préoccupe également les chercheurs, c’est que les crédits de sauvetage de la Chine et l’ampleur des problèmes sont difficilement compréhensibles pour des observateurs extérieurs. Au total, 170 milliards de dollars (156,36 milliards d’euros), soit la majeure partie des crédits en souffrance, auraient été octroyés par le biais de crédits de la Banque centrale, qui sont particulièrement difficiles à comprendre pour les agences de notation et autres observateurs internationaux. En outre, 70 milliards de dollars (64,38 milliards d’euros) proviendraient de banques publiques chinoises et d’autres entreprises d’Etat.
« L’attitude de la Chine a des répercussions évidentes sur le système financier et monétaire mondial, qui, selon nos estimations, devient moins institutionnalisé, moins transparent et plus fragmenté », prévient Christoph Trebesch, coauteur du Kiel Institut für Weltwirtschaft. Cela pourrait surtout devenir un problème si les pays concernés rencontraient des difficultés financières à long terme.
« La résolution des crises de la dette souveraine nécessite généralement un certain degré de coordination entre les créanciers », explique Brad Parks, d’AidData. Une chose que, selon lui, la dissimulation des crédits chinois rendrait plus difficile.
D’après l’étude, la Chine a jusqu’à présent accordé des crédits de sauvetage à 22 pays, dont l’Egypte, l’Argentine, l’Equateur, le Laos, la Mongolie, le Pakistan, le Suriname, le Sri Lanka, la Turquie, l’Ukraine, le Venezuela et la Biélorussie.