les paysans chinois leurrés par le mirage urbain (article)

Pimie

Membre Gold
23 Oct 2005
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Shanghai
Alors que les écarts entre villes et campagnes s'agrandissent, certains Chinois abandonnent femme et enfants pour venir tenter leur chance en ville.

SHANGHAI (de notre correspondante). - On les appelle Mingongs. Ces paysans issus des provinces voisines ont élevé les immeubles et les autoroutes de Shanghai. Facilement reconnaissables à leur peau burinée et à leurs habits démodés, ils formeraient le tiers de la population de la ville, estimée à 20 millions de personnes.


Des permis de résidence temporaire

Mais les chiffres sont difficilement vérifiables, selon Florence Padovani, sociologue à l'Académie des sciences sociales de Shanghai : « À partir de plus de trois jours dans la ville, vous êtes considéré comme migrant potentiel. Il faut alors aller se déclarer au commissariat de police pour pouvoir être comptabilisé dans la population flottante et obtenir un permis de résidence temporaire. On a des estimations officielles qui vont de trois à quatre millions. »

En Chine, dans les années 1950, pour entraver la libre circulation, le gouvernement avait créé le hukou, un permis de résidence interdisant à une personne de travailler dans une autre province que la sienne. La libéralisation économique, le délitement des entreprises d'État et l'appauvrissement des campagnes ont incité les paysans des provinces rurales à venir chercher du travail dans les villes. Le revers, c'est qu'aujourd'hui, à Shanghai, les migrants ne peuvent obtenir qu'un permis de résidence temporaire. Impossible pour eux d'acheter un logement avec subventions, de scolariser leurs enfants ou de bénéficier du système de sécurité sociale. « De véritables enclaves de migrants se sont créées, en situation illégale ou semi-illégale. La plus célèbre était à Pékin. On l'a fermée soi-disant pour mesures de sécurité avant les Jeux olympiques », raconte la sociologue.

À Shanghai, les autorités ont déclaré que, d'ici à l'exposition universelle de 2010, tous ces enfants de migrants seraient scolarisés alors que, selon des chiffres officiels récents, 30 % des enfants nés cette année dans la capitale économique seraient des enfants de migrants.


« 80 € par mois pour neuf heures par jour »

Le phénomène est récent puisque les parents ont longtemps préféré laisser leurs enfants à la charge des grands-parents dans les campagnes. C'est le cas de Jia. Originaire de la province du Jiangsu, c'est elle qui prépare les soupes et les pâtes des trois cents ouvriers d'un chantier de construction d'immeubles situé au nord de Shanghai : « Je suis venue ici toute seule. Je suis mariée et ma famille est restée dans le Jiangsu. J'aime mon travail parce que je gagne plus d'argent qu'à cultiver les champs et mes conditions de vie ici sont bonnes. Je gagne 80 € par mois, pour neuf heures par jour, tous les jours. » Tous ne connaissent pas le sort de Jia. Les autres femmes qui débarquent de leur campagne deviennent cuisinières, femmes de chambre, nounous, payées entre 40 centimes et 1,80 € de l'heure.

En outre, ces esclaves urbains sont accusés de prendre le boulot des Shanghaiens. Le taux de chômage n'y serait, officiellement, que de 4,8 % mais il avoisinerait les 8 %. Pour Florence Padovani, cependant, « aucun Shanghaien ne voudrait accepter ces boulots durs et mal payés. Or, la ville a besoin de cette migration peu chère qui, de toute façon, avec un niveau école primaire, ne peut prétendre à d'autres emplois. Certains métiers, comme chauffeur de taxi, sont aussi réservés uniquement aux Shanghaiens. » Shanghai pourra-t-elle indéfiniment oublier tous ces ouvriers qui l'ont érigée ?


Marie PERRUCHET.

source: http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet.php?abo=864798&serv=10&idCla=3637&idDoc=466901