L’enquête implacable d’un Chinois sur les 36 millions de morts de Mao

Orang Malang

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Rue89 - 23 Septembre 2012


« Stèles » de Yang Jisheng

Ce livre est un monument. C’est d’abord une recherche historique exceptionnelle qui documente de manière implacable des faits connus mais jamais autant étayés ; c’est aussi un monument à la mémoire d’un père, victime de la tragédie que raconte ce livre.

« Stèles : la grande famine en Chine, 1958-1961 », du journaliste chinois Yang Jisheng, documente la plus grande catastrophe politique et humanitaire du XX[SUP]e[/SUP] siècle, les 36 millions de morts de la famine due au Grand Bond en avant, un plan de développement économique désastreux lancé par Mao Zedong.

Yang Jisheng a aujourd’hui 71 ans et, de ce fait, ne craint rien, ni représailles du pouvoir, ni carrière brisée pour avoir publié le fruit de ses recherches d’abord à Hong Kong, puis dans le reste du monde.
Le livre, évidemment, est introuvable officiellement en Chine, même si l’on sait qu’il circule sous le manteau.

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Yang Jisheng à Pékin, en 2010 (用心阁/Wikimedia Commons/CC)

Ce journaliste n’est pas un dissident. C’est un homme qui s’est engagé jeune dans la révolution maoïste, qui y a cru, qui en a partagé les moments forts. Il a même fait carrière à l’agence Xinhua (Chine nouvelle), le cœur du système d’information du Parti communiste.

Même lorsque son père est mort affamé, en 1959, Yang Jisheng, alors étudiant révolutionnaire, s’est bien gardé de toute « mauvaise pensée » qui aurait pu attribuer aux décisions politiques le malheur qui frappait sa famille.
Et pourtant, Yang Jisheng a fini par réaliser que le sort de son père a été partagé par d’autres, des milliers d’autres, des millions d’autres, des dizaines de millions d’autres.

A partir du début des années 90, le journaliste s’est mis à sillonner le pays à la recherche des traces de ce « Grand bond en avant » et de la famine qu’il avait entraînée. Il a rencontré des survivants, aujourd’hui âgés et dont la parole est, là encore, libérée par l’age, et consulté des milliers de pages d’archives jusque là inconnues.

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Affiche de propagande maoiste

Le Grand Bond en avant

Et il a raconté :

  • la bataille politique précédant le Grand Bond en avant, lorsque Mao Zedong a bataillé ferme pour s’imposer contre ceux qui dénonçaient l’« aventurisme » économique, avec à leur tête le pourtant fidèle Zhou Enlai, humilié et contraint à l’autocritique ;
  • la folie de cette politique économique qui visait à dépasser la Grande-Bretagne dans la production d’acier (ce qui fut fait en... 1993 !), et qui a totalement déstabilisé la production et l’économie rurale, plongeant les campagnes dans la famine alors que les récoltes étaient saisies pour nourrir l’armée, les villes, les ouvriers ;
  • le cannibalisme qui s’est produit à grande échelle dans les campagnes chinoises affamées, et dont il donne de nombreux exemples et récits qui font froid dans le dos.

Il raconte par exemple de manière très détaillée comment, dans la province centrale du Henan, région agricole s’il en est, là où « le drapeau rouge a été brandi le plus haut », les décisions politiques se sont payées en montagnes de cadavres.
Dans la seule préfecture de Xinyang, au sud-est du Henan, entre 1959 et le printemps 1960, au moins un million de personnes sont mortes de faim, soit, écrit-il, « une personne sur huit » :

« Mais pendant quarante ans, les personnes extérieures à la région ne surent rien des tenants et aboutissants de cette affaire. »

Au cœur de la catastrophe, les prévisions de production agricole données par les dirigeants locaux, toujours gonflées pour être bien vus, mais sur lesquelles se basaient les ordres de réquisitions de l’Etat. Dans ses mémoires, un dirigeant local raconte :

« Après la réunion élargie, je suis retourné à la préfecture pour m’occuper des achats réquisitionnés de la moisson d’automne. La province les avait fondés sur l’excellente récolte de 1958, et notre préfecture livra son quota de 800 000 tonnes en prenant aux paysans toutes leurs rations de grains et leurs semences.
La moisson d’automne à peine terminée, il ne restait plus rien à manger dans maints endroits, et les gens commencèrent à fuir la préfecture pour chercher de la nourriture. De nombreuses cantines collectives durent fermer, et les pauvres villageois en furent réduits à tromper leur faim en mangeant des feuilles de patates douces et des herbes sauvages. »

« J’ai senti l’odeur de viande en train de cuire »


Yang Jisheng cite le témoignage d’un vieux paysan du village de Fanghu :

« Le phénomène du cannibalisme n’avait rien d’exceptionnel. Moi-même, je l’ai fait. C’était à Yaozhuang, où j’étais allé trouver le chef de l’équipe de production, Yao Dengju : en entrant dans son bureau, j’ai senti l’odeur de viande en train de cuire. Il m’a dit : “Tu veux de la viande ?” J’ai demandé : “Qu’est-ce que c’est comme viande ?” Il m’a répondu : “Du porc.” J’ai soulevé le couvercle et goûté un morceau, c’était tendre. “Ce n’est pas du porc”, ai-je dit. Il m’a expliqué que c’était de la chair que quelqu’un avait découpée dans un cadavre enterré, et qu’il en avait pris un morceau et l’avait cuisiné. »

Le récit de Yang Jisheng s’étend sur 600 pages, il en fait le double en chinois, mais a accepté d’en faire une version plus réduite pour les éditions étrangères, travaillant étroitement avec les traducteurs qui ont fait un travail de présentation pour un public non averti absolument remarquable.

Amnésie historique

Il fait un travail de mémoire colossal, dans un pays qui, trop souvent, met les faits gênants de son Histoire sous le tapis ou les manipule pour des raisons politiques. Le bilan du règne de Mao est ainsi évalué à « 70% positif » par le Parti, les 30% restants (y compris les 36 millions de morts) étant passés par pertes et profit, et gommés des livres d’Histoire.
Le journaliste écrit :

« Nous devons nous souvenir non seulement de ce qui est beau et bon, mais aussi de nos crimes, de nos bassesses ; non seulement de la lumière, mais aussi des ténèbres. Les hommes au pouvoir dans les systèmes totalitaires cachent leurs crimes et mettent leurs bonnes actions en valeur, ils camouflent leurs fautes sous des slogans ronflants, ils effacent de force de la mémoire humaine les catastrophes qu’ils provoquent, les ténèbres, les crimes. C’est pourquoi les Chinois souffrent si souvent d’amnésie historique : elle est forcée par le pouvoir. »

Il ajoute cette phrase de portée universelle :
« J’érige ces stèles précisément pour que les gens se souviennent de cette catastrophe provoquée par l’homme, de ces ténèbres et de ces crimes, afin qu’à l’avenir on ne les reproduise pas. »



 
Merci pour l'article.
Il a une tres bonne vision de ce que doit etre l'enseignement de l'histoire d'un pays, mais de l'eau va couler sous les ponts avant que le gouvernement lui donne raison.
 
En effet ... Loin de lui que de vouloir mettre au pas Pékin ...

Cependant, sa démarche de collecte de témoignages est intéressante afin que tout cela ne tombe pas dans l'oubli (à part la version officielle qui subsistera) ...

J'ai lu plusieurs ouvrages relatant les faits de l'époque, non pas pour juger, mais pour avoir un son de cloche de l'intérieur, de ceux qui ont vécu les différents évènements qui ont marqué la période de Mao afin de prendre un peu de recul par rapport à la ligne du Parti ...

Cela permet de mieux comprendre certaines choses, surtout dans les générations des plus de 45 ans ... qui pour ceux que je rencontre, méritent beaucoup de respect, car quand on sait ce qu'ils ont vécu (et à quoi ils ont survécu), il est dès fois impressionnant de les voir pouvoir vivre "normalement" ...
 
Dernière édition:
Je ne crois pas qu'il y ai un seul vieux campagnard qui soit dupe sur le sujet, et meme si ils ne sont pas super éduqués, ils savent trés bien d'ou est venu le problème.
Ils en parlent aussi généralement trés ouvertement entre eux et à ceux qui souhaitent écouter.
Sale période...

Le regret, comme dit plus haut, c'est que ce n'est pas abordé ouvertement dans les livres d'histoire et l'éducation et donc que la plupart des jeunes, qui ne s'interressent à rien si ce n'est au prochain Iphone, perdent pied avec ce qu'est la réalité de leur pays/racine.

Il est donc important que ce combat ce joue maintenant, sans jugement, mais pour garantir le référencement de faits historiques qui ne doivent jamais se répéter!

Merci pour l'article!
 
L'auteur
« Nous devons nous souvenir non seulement de ce qui est beau et bon, mais aussi de nos crimes, de nos bassesses ; non seulement de la lumière, mais aussi des ténèbres. Les hommes au pouvoir dans les systèmes totalitaires cachent leurs crimes et mettent leurs bonnes actions en valeur, ils camouflent leurs fautes sous des slogans ronflants, ils effacent de force de la mémoire humaine les catastrophes qu’ils provoquent, les ténèbres, les crimes. C’est pourquoi les Chinois souffrent si souvent d’amnésie historique : elle est forcée par le pouvoir. »

Une lecture saine, qui fera du bien à bien du monde, étrangers comme Chinois.
 
Tu es trop bon, patron.

Je vais te donner l'adresse du bureau de mon épouse.

La poste Chinoise ne trouve pas notre domicile.

Préviens moi quand tu l'envois à ma femme.
 
Le message privé ne prend pas certains caractères.

Je te l'envois de nouveau, via e-mail.

Mes sincères remerciements pour le livre.
 
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Mes sincères remerciements pour le livre.

De rien ...

Cependant, le temps que je le reçoive et que je le lise, je te tiendrai au courant ...

Edit : pour info (pour toi et les autres) tous les caractères sont ok et identiques dans le PM et l'email ...
 
Dernière édition:
De rien ...

Cependant, le temps que je le reçoive et que je le lise, je te tiendrai au courant ...

Edit : pour info (pour toi et les autres) tous les caractères sont ok et identiques dans le PM et l'email ...

Je lis tres vite, tu peux me l'envoyer avant?
 
Cela permet de mieux comprendre certaines choses, surtout dans les générations des plus de 45 ans ... qui pour ceux que je rencontre, méritent beaucoup de respect, car quand on sait ce qu'ils ont vécu (et à quoi ils ont survécu), il est dès fois impressionnant de les voir pouvoir vivre "normalement" ...
Pour ceux qui sont intéressés par le sujet, allez donc découvrir Fengming, chronique d'une femme chinoise (和凤鸣, He Fengming) le film de WANG Bing.. c'est exactement ce qu'on y voit.
Wang Bing est devenu célèbre après son film "A l'ouest des rails", mais "Fengming..", et "Le fossé", qui sont seulement sortis en France cette année, sont très, très, forts aussi.
 
Carte de crédit pas encore débitée, livre multi-partagé ...

On s'arrangera en temps voulu ...

 
Dernière édition:
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On s'arrangeraen temps voulu ...

Si ça peut t'aider pour les virements, j'ai un compte paypal et un compte wester union au Mozambique.
(C'est celui de ma tante retraitée de l'armée, très riche et veuve)
MP pour plus d'infos.
Que Dieu te garde,
 
Pour ceux qui sont intéressés par le sujet, allez donc découvrir Fengming, chronique d'une femme chinoise (和凤鸣, He Fengming) le film de WANG Bing.. c'est exactement ce qu'on y voit.
Wang Bing est devenu célèbre après son film "A l'ouest des rails", mais "Fengming..", et "Le fossé", qui sont seulement sortis en France cette année, sont très, très, forts aussi.

Puisque l'on est aux conseils de lecture ... Pour ceux qui veulent commencer à aborder la question sans pour autant se "manger" un pavé, je conseilles

L'Empire de l'Absurde ou 10 ans de la vie de gens ordinaires ...

http://www.bleudechine.fr/index.php?page=fiche&collection=Bleu de Chine&titre=38
 
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Merci de contacter Dui, ni shuo de dui ... C'est à lui que je laisse gérer mes affaires avec l'Afrique ...
 
J'avais en effet lu l'article, très intéressant.
J'ai récemment visionné un DVD que j'avais trouvé ici il y a un moment et ils en parlent et justement certains rescapés sont interviewés.
Il s'agit d'un documentaire de 4h, "Mao, une histoire chinoise" un film écrit par Philip Short et réalisé par Adrian Maben.
 
Dans le meme sujet, un photographe a resorti ses photos de l'epoque...photos qu'il a caché pendant 20ans, pour les resortir dans les annee 80.

http://lens.blogs.nytimes.com/2012/...ematographers-eye-chinas-cultural-revolution/

Mr. Li was a photojournalist for the local paper in Harbin, capital of China’s northernmost province of Heilongjiang. That is where he did his life’s work documenting the Cultural Revolution, taking the “positive” propaganda images of masses whipped up in revolutionary fervor for the newspaper, and also the “negative,” more nuanced, questioning pictures. He snipped those frames off his film and hid them under the parquet floorboards of his house until the revolution ended. He did not show these pictures in China until the late 1980s. Even today, given the sensitivities that linger over the Cultural Revolution in China, his work is more often seen overseas rather than at home.