28 février 2011
Le Grand Soir
Benjamin QUESADA
La Terre se réchauffe …ou pas ? Qui sait ?
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Le titre volontairement provocateur de cet article prétend ouvrir le débat de la légitimité des avis qui s’expriment un peu partout sur le réchauffement climatique, en contredisant notamment les approximations scientifiques évoquées dans l’article de Ghislain Duchêne « La Terre se réchauffe. » (Le Grand Soir, 16 février 2011) (1).
Le GIEC : un complot mondial ?
Lorsque l’on parle de Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), on commet souvent l’erreur de confondre (i) ceux qui analysent les concepts physiques sous-jacents aux sciences du climat et (ii) ceux qui avancent des solutions, des choix de sociétés, des « mesures » d’atténuation ou d’adaptation. Les premiers font partie du Working Group 1 et regroupent de nombreuses disciplines (astrophysiciens, océanographes, biogéochimistes, aérologues, glaciologues, biologistes, physiciens des particules et j’en passe) concourrant à nous faire comprendre le fonctionnement de notre planète. Au terme d’un long débat contradictoire entre experts du domaine, après avoir évalué les incertitudes avant chaque conclusion, ces chercheurs de tous les coins de la planète ont synthétisé leurs publications pour proposer un état de l’art des connaissances scientifiques en la matière. (2) De plus, le processus d’expertise du GIEC est ouvert à tout
scientifique désirant faire des remarques et il est précisément prévu pour que la contradiction soit discutée entre personnes ayant les moyens de comprendre de quoi il retourne. 2500 scientifiques de 130 pays ont pris part au 4ème rapport publié en 2007. Par ailleurs, trois études indépendantes ont été réalisées pour tenter d’estimer le degré d’accord scientifique avec la thèse du réchauffement climatique anthropogénique (RCA) parmi les scientifiques du climat (3) (4) (5) : 97% des chercheurs qui possèdent les sciences du climat comme domaine d’expertise supportent cette thèse telle que décrite par le GIEC. Comme complot on a vu mieux !
Pour les seconds, le Working Group 3 réunit entre autres les personnes chargées de proposer des mesures pour réduire nos émissions. Or, ce travail là repose sur des bases profondément politiques et il est à regretter que les causes radicales des nuisances environnementales n’aient pas été abordées. C’est à ce niveau-là que les citoyens doivent, à mon avis, être consultés systématiquement et en connaissance de cause pour répondre à la question : que préconisez-vous comme solution politique au problème exposé par la science ?
Il est vrai que le capitalisme, le productivisme, la société de consommation, la croissance économique et leurs férus promoteurs n’ont pas été jugés responsables des maux environnementaux mais ça ne change en rien l’état des lieux dressé par les scientifiques. Rappelons que les résultats sur lesquels ils s’appuient sont communément admis hors du cadre de l’étude du climat (effet de serre, équations de la physique de l’atmosphère ou de l’océan,…).
Réfutations sur la base de l’état de l’art des sciences du climat
« Homo Habilis […] il y a plus de 2 millions d’années […] a connu des températures équivalentes ou supérieures aux températures actuelles. » « Ce réchauffement peut être vu comme naturel »
L’auteur sous-entend que les températures actuelles anormalement chaudes et que la tendance à la hausse à venir n’auraient qu’un impact mineur.
Les changements du climat peuvent avoir différentes causes, et la cause d’un changement particulier du climat doit être examinée au cas par cas par des études nommées détection et attribution, qui analysent en détail les différents forçages (e.g. variations de l’activité solaire, des gaz à effet de serre ou de l’activité volcanique), le temps (échelles) et l’espace (local vs. global) observés pour le changement climatique. Or, si des causes naturelles peuvent expliquer ces dites périodes (activité volcanique, solaire, etc), le réchauffement de la deuxième moitié du XXème siècle ne s’explique pas sans prendre en compte les forçages anthropiques (6) (e.g Figure 1). En outre, la vitesse de réchauffement inhabituelle de plus de 0.1°C/décennie depuis 50 ans sans forçage naturel majeur est tout sauf banale (<0.02°C/décennie sur 5000 ans pour une déglaciation).
Ainsi, ces études démontrent en particulier, que la tendance du réchauffement climatique du 20ème siècle est bien reconstruite par l’état de l’art des modèles du système climatique en réponse aux émissions anthropiques du 20ème siècle :
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Figure – Anomalies de températures issues des observations (courbe noire) et reconstructions avec un ensemble de modèles des températures
sans (courbe bleue) et
avec (courbe rouge) les émissions anthropiques [gaz à effet de serre+aérosols] (courbe bleue) 6
Par ailleurs, je ne crois pas qu’Homo Habilis vivait sur une planète peuplée de 6.5 milliards de congénères et aurait pu s’adapter sans dommages à un réchauffement climatique de quelques degrés ayant comme conséquence la diminution des ressources agricoles, l’augmentation des risques d’inondations, la multiplication d’événements extrêmes, le développement de maladies infectieuses et de nombreuses pertes de biodiversité (cf. Figure 2).
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Figure - Possibles effets du réchauffement climatique à prévoir (Projections mondiales 2050-2100)
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« Dès le 2è rapport du GIEC en 1995, les choses ont dérapé. Des climatologues avec pour chef de file Richard Lindzen (…) reprochent [au GIEC] entre autre d’abandonner la science pour la politique ou la religion. Lindzen claquera définitivement la porte du GIEC en 2001 »
Richard Lindzen est un éminent chercheur du MIT qui avait effectivement beaucoup contribué à jeter le trouble en 2001 en faisant publiquement part de réserves exposées de telle façon que l’on pouvait facilement les prendre pour une remise en cause globale du dossier. Depuis il a certes « claqué la porte ». Seulement, un petit résumé de son parcours s’impose :
° Il est ou a été membre du Annapolis Center for Sciences-Based Public Policy et contributeur du Cato Institute, du Tech Central Science Foundation et du George C. Marshall Institute (7), des think-tanks américains ayant reçu respectivement plus de 400,000 dollars, 125,000 dollars, 95,000 dollars et 840,000 dollars de la part de la compagnie pétrolière ExxonMobil depuis 1998 (8).
° Entre autres, il a participé comme intervenant principal aux Heartland Institute’s International Conference on Climate Change de 2008 et 2009 où l’ensemble des sponsors cumulaient plus de 47 millions de dollars d’émoluments provenant de fondations de droite conservatrice et de compagnies d’énergie dont ExxonMobil (9).
° Il a fait des déclarations surprenantes comme « le cancer du poumon est peu lié à la consommation de tabac » (10) ou encore « la seule compagnie pétrolière et de gaz étatsunienne dotée de principes est ExxonMobil » (11).
En réalité, un grand nombre de personnalités scientifiques ayant œuvré pour nier les dangers du tabac pour la santé, promouvoir le programme d’armes spatiales de Ronald Reagan (passé à la postérité sous le nom de « guerre des étoiles »), minimiser les risques des pluies acides, démentir l’existence d’un trou dans la couche d’ozone dans les années 1980, se retrouvent à nier aujourd’hui les réalités du réchauffement de la planète (12) (13). Regardons dernièrement l’amendement voté par une majorité du congrès américain pour cesser d’apporter sa contribution financière au GIEC (14).
L’augmentation du niveau de la mer, l’acidification de l’océan, la fonte du permafrost, des calottes polaires, des glaciers tropicaux, l’augmentation rapide et généralisée récente des températures continentales et océaniques font-elles vraiment partie du complot religieux et politique ?
« La haute finance s’emparera du volet climatique en 1997 avec le protocole de Kyoto »
Encore une fois, la « haute finance » a certes récupéré les avertissements des scientifiques à cette date mais il reste à prouver que ces derniers ont vu leurs travaux censurés, orientés, à cause de la « haute finance » dans le seul but d’écarter toute opinion scientifique dissidente. La finance mondiale (monétarisation du carbone, taxe carbone, financement des greentechs) a plus vraisemblablement utilisé des travaux honnêtes à des fins utilitaristes en s’érigeant en grande gardienne de la lutte contre le réchauffement climatique. De même, il est très rentable de continuer à vendre les mêmes produits et services en faisant semblant de se préoccuper des nuisances environnementales : la « croissance verte » contribue à renforcer le capitalisme (plus de produits « verts » vendus, image d’entreprise responsable, anesthésie de la population par une écologie venant d’« en haut »). L’histoire a aussi montré que malgré toutes les nuisances sociales et environnementales qu’a pu engendrer le système capitaliste, il a toujours pour le moment, plus ou moins, réussi à survivre aux différentes résistances soit en masquant les évidences, soit en se voyant obliger de lâcher du lest mais pour mieux perdurer dans sa logique de maximisation des profits.
Ainsi, prendre les investissements de la finance comme indicateur de plausibilité d’arguments scientifiques me paraît hasardeux car par nature, elle s’est fixé pour but de spéculer sur tout objet économique (réchauffement climatique ou pas, elle s’empare du « volet » énergétique, alimentaire, domestique, social…, etc).
Après ces deux affirmations, l’auteur ne juge donc pas nécessaire d’informer le lecteur sur les conclusions des travaux en sciences du climat depuis les 20 dernières années.
« Pourquoi une hausse des températures est-elle importante ? »
On y apprend qu’elle est importante parce que si on la remettait en cause cela coûterait beaucoup d’argent à ceux qui ont investis dans la théorie de l’effet de serre. Même remarque que précédemment : dans le cas précis du réchauffement global actuel ou futur, en quoi les investissements déterminent la véracité d’un fait scientifique ?
N’oublions pas que si des entreprises telles qu’ExxonMobil, GDF Suez, Lafarge, Bayer… ont investis des millions pour nier le réchauffement climatique (15), c’est parce que celui-ci met à jour les nuisances des activités industrielles et induit la remise en cause d’un système économique mondialisé basé sur la prédation de l’environnement. Après la récupération diablement efficace des enjeux du réchauffement climatique par le développement durable (i.e une croissance avant tout, polluer « moins » pour polluer plus longtemps, apparition d’un nouveau marché des greentechs), la plupart des entreprises savent à présent qu’il est beaucoup plus vendeur et rentable de se construire une vitrine de lutte contre le réchauffement climatique plutôt que de le nier. Regardons comment le Medef et Yann-Arthus Bertrand réinventent le greenwashing (16) !
En outre,
Al Gore est l’exemple parfait du mélange des genres : il utilise les résultats scientifiques du réchauffement climatique pour faire passer son idéologie soi-disant évidente qu’il faudrait tout simplement consommer de la voiture hybride, mettre du panneau photovoltaïque, construire des centrales nucléaires, développer les agrocarburants pour s’en sortir….sans surtout remettre en cause la consommation insoutenable de ressources et les inégalités considérables générées par le système auquel il veut donner une seconde jeunesse. Enfin, pour moi, il n’est pas anodin de voir le GIEC et Al Gore obtenir conjointement en 2007 le si controversé Prix Nobel de la Paix : les messages « Pas de panique pour les investissements, un nouveau marché s’ouvre à nous » ou encore « Voici la base scientifique, voilà nos solutions » sont bel et bien lancés.
« Phil Jones (du Met Office Hadley Centre) nous indique que les températures de 2010 sont identiques aux moyennes de 2003 et que l’année 2010 fut plus fraîche que 2005 et 1998 (…) » « Le modèle simplificateur du climat qui veut que la température se règle automatiquement sur plus chaud s’il y a plus de gaz à effet de serre connaît quelques petits soucis au niveau des observations »
Notons tout d’abord que d’après les quatre équipes du monde qui compilent et analysent les données météo - NASA’s Goddard Institute for Space Studies (GISS), NOAA’s National Climatic Data Center (NCDC), the Japanese Meteorological Agency et le Met Office Hadley Centre (CRU) -,
la décennie 2001-2010 est la plus chaude depuis que les séries de thermomètres sont disponibles (17). En effet, le classement d’une année particulière est peu représentatif d’une tendance temporelle globale (18). Ainsi, déterminer des tendances sur des périodes courtes (moins de 10 ans) a statistiquement peu de sens du fait de la superposition de facteurs externes et internes.
En effet, l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère implique un réchauffement radiatif de la surface terrestre : les émissions anthropiques de gaz à effet de serre vont par conséquent avoir tendance à « créer du chaud ». Or, se superpose à cette tendance, la variabilité naturelle du climat qui a tendance à « créer du chaud ou du froid » : les phénomènes El Niño/La Niña, le volcanisme, l’émission d’aérosols et la variabilité dans l’irradiance solaire modulent, entre autres, les températures globales d’une année à l’autre.
Justement, l’année 2010 a été marquée par un événement très intense La Niña et une faible irradiance solaire, tous deux contribuant à diminuer temporairement les températures globales (18). Malgré cela, 2010 est au minimum la troisième année la plus chaude depuis 1880 (cf. Figure 3) et les quatre enregistrements indépendants de températures globales donnent des tendances identiques à la hausse.
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Figure - Observations des anomalies de températures globales de surface (période de référence : 1951-1980)
Ainsi le « modèle simplificateur » qui voudrait que les températures globales augmentent de manière linéaire et monotone sous l’influence de l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre n’existe tout simplement pas et aucun climatologue n’en a fait état ! Par contre, les chercheurs du GIEC-WG1 font état des différents facteurs influençant le récent réchauffement climatique et celui à venir en évaluant leur valeur et leurs incertitudes (19).