Un samedi soir blues au JZ

PPascal

Apprenti
04 Oct 2016
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Taishan City (jiangmen Province)
Bonjour,

Suite à vos bons conseils, je suis allé faire un tour au JZ, ce fameux club de jazz qui s’autoproclame « BEST JAZZCLUB in GUANGZHOU». C’est sans doute vrai, vu que je ne connais pas les autres clubs s’ils existent…Le club est situé dans l’espace culturel PARTY PIER, au niveau du métro aérien, le long de la rivière des perles.

L’accueil est extra. Une petite nana chinoise, super sympa et parlant franchement bien anglais se tient derrière le comptoir du rez-de-chaussée (oui, le bâtiment comprend plusieurs niveaux).

Elle me donne toutes les indications que je souhaite, y compris l’abonnement au programme et infos diverses sur le club, via…weChat. Ce soir nous avons du blues avec les SLEEPWALKERS.

Il n’est que 19h30. Le concert démarre à 21h30. Aussi je demande à visiter le lieu avent les festivités. Pas de problème. Nous montons l’escalier qui mène au 1er. La salle est vaste, avec une scène plutôt spacieuse. Le rouge domine largement. Le bâtiment étant de forme circulaire (peut-être est-ce un fut de bière géant - oui, Party Pier est aussi l’emplacement du musée de la bière), la salle prend une forme arrondie qui favorise l’acoustique. Je profite de la situation pour demander à ma charmante hôtesse de me réserver la table centrale. Pas de problème, ce sera fait, me répond-elle.

Super.

Je pars explorer les environs (de nombreux bars, restos en tout genre, situés sur plusieurs niveau en terrasse, c’est sympa), puis je reviens au club vers 9h15. Je me retrouve au 1er niveau en un instant (j’adore le blues, ça me donne la pêche !) et je vois que ma table porte un macaron RESERVED. La classe, VIP made in China. J’adore !

Je m’installe et je commande un Mai tai, mon cocktail préféré.

Toutes les tables sont déjà occupées (j’ai bien fait de réserver, finalement.) par des Chinois, oui, oui, ils aiment le blues aussi. D’ailleurs, je verrai par la suite qu’ils sont aussi sur scène. Il y a aussi quelques Français et quelques autres LaoWei que je n’ai pas identifiés.

Les musiciens montent sur scène pour faire la balance et accorder les guitares. En dix minutes à peine, c’est fait. Le concert va commencer. Quelques saluts et poignées e mains plus tard (oui, ce groupe est un habitué du JZ, ils connaissent beaucoup de spectateurs habitués eux aussi), le show démarre sur les chapeaux de roues avec un blues torride. Le ton est donné. Puis les morceaux s’enchainent sur un rythme soutenu, on en a pour notre argent…C’est du blues varié (ce sont des reprises, à priori, le groupe ne compose pas). On a au programme du Clapton (c’est inévitable), du Jimi Hendrix, du Herbie Hancock (Watermelon Man), mais aussi d’autres titres plus roots, dont l’universellement connu Sweet Home Chicago, ou encore All Your Love, Hootchie Coochie Man, The Sky Is Crying, etc….

Le groupe se compose de 3 membres attitrés et d’un invité pour la soirée :

  • Un guitariste anglo-saxon (guitare électrique),

  • Un batteur anglo-saxon,

  • Un bassiste français (basse électrique à 5 cordes)

  • L’invité du groupe est un guitariste chinois (guitare électroacoustique)
Pour la petite histoire, ce guitariste chinois est prof de guitare jazz à l’école de jazz de Zhuhai. Je l’avais rencontré en 2015 lors d’un concert dans un bar de jazz à Zhuhai vers Shuiwan Street. Le club n’existe plus aujourd’hui malheureusement. Son jeu est très jazzy avec des accords de 9e, en mode æolien, pour ceux qui connaissent un peu la guitare jazz. J’ai le contact weChat pour ceux qui voudraient se mettre au jazz J.

Il est très présent lors de ce show au JZ, avec des solos fréquents (les Sleepwalkers ne l’ont pas invité pour faire de la figuration), et un accompagnement tout en nuances très jazzy. Un très bon guitariste assurément. C’est clair que Wes Montgomery a laissé sa marque.

Bref, le spectacle vaut le détour. Les Sleepwalkers connaissent leur affaire, c’est indéniable. L’invité apporte sa touche de jazz avec un jeu plus suave, moins roots, qui finalement apporte un peu de Yin dans un groupe plutôt Yang.

Et puis vient l’entracte. Enfin, la pause, si vous préférez. Le break des musiciens (one bourbon, one whisky, one beer). J’en profite lâchement pour aborder mes petites voisines, deux charmantes chinoises, étudiantes et bien trop jeunes pour moi, hélas mais qui apprécient le jazz et le blues. Je vous le disais, la jeune génération connait et apprécie cette musique. Dans 10 ans, nous aurons une dizaine de clones du JZ à Canton…

Quinze minute plus tard, le groupe reprend place sur l’estrade pour une suite au moins aussi bien que le première partie. Et puis, quelques morceaux plus tard, le guitariste et leader du groupe, invite sur scène un tout jeune chinois (est-il même majeur ?) qui se trouve dans la salle et qui est son élève. Le jeune Tim monte sur scène, prend la guitare de son prof, et dans le morceau en cours, se lance dans solo incroyablement bluesy. Quand je dis incroyable, je veux dire que ce petit jeune a tout compris du blues, il a un don, c’est sûr. Il sonne comme les plus grands, c’est plaintif à souhait (en mineur), ça gémit, ça crie, ça hurle, le bend est tendu, c’est de l’impro géniale, sans avoir l’air de forcer. Il semble à l’aise, take it easy. L’élève aurait-il dépassé le maitre ? Puis, presque timidement, à la fin du morceau, Tim rend la guitare à son prof, descend de la scène et rejoint sa table dans la salle, sous un tonnerre d’applaudissements.

Le groupe reprend les choses en main, si j’ose dire, et nous offre pour ce dernier set, un solo de basse, un solo de batterie, et quelques bon blues. Le spectacle se termine vers 1 heure du mat’. Quand je vous disais qu’on en avait pour notre argent (le prix d’un cocktail soit 63 RMB, l’entrée est gratuite).

Je prends un moment pour aller féliciter Tim, puis le batteur arrive et nous taillons une petite bavette autour du blues. Quelques bières plus tard, je me décide à quitter ce lieu magique pour rentrer à mon hôtel, sans difficultés, tant la file de taxi est longue, même à cette heure tardive, à l’entrée principale de Party Pier.

The blues is allright !
 

Fichiers joints

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Pour ceux qui ne connaitraient pas le blues, voici un papier que j'avais ecrit il y quelque temps et qui livre ma pensee sur cette musique que j'adore.


Aujourd’hui, j’ai envie de parler du Blues.

Vous savez, cette musique mère de toutes les autres.

Le blues est ma musique préférée. La guitare blues surtout. Vous allez me dire « Ah oui, Clapton ?». C’est vrai que ce guitariste est un des meilleurs ambassadeurs que le blues ait connu en Europe, depuis quelques décennies déjà. Il incarne la maitrise absolue des plans blues de toute nature, de tous styles, avec précision, aisance, assurance. Ces dernières années, on peut même dire que « God », ou encore « Slow Hand » comme on l’appelait lors de sa révélation au monde, montre en public une sorte de force tranquille, de sérénité dans son jeu. Il peut tout faire, tout jouer, c’est certain. Et il chante très bien.

Mais le Blues est une musique en mouvement, qui va de l’avant. Loin d’être ringarde, elle est adulée par de jeunes talents de toutes nationalités. Parmi les nouvelles pointures du blues d’aujourd’hui, il faut citer Joe Bonamassa, virtuose de la 6 cordes blues et rock blues. Ses idoles sont les 3 Kings, auxquels il a rendu un hommage vibrant lors d’un show « Live At the Greek Theater ». BB le crooner, Albert le fumeur de pipe et Freddy le fougueux. Trois rois du blues, chacun avec sa propre perception. BB, le plus médiatique, confessait à chacune de ses interviews, qu’il avait démarré le Blues d’abord pour lui, pour se faire plaisir. Puis il remarqua que ses proches appréciaient son jeu et son chant. Alors, il poussa l’expérience plus loin et devint la vedette internationale que l’on connait, partageant le podium avec Clapton. Ce n’est que justice.

Car le Blues, à l’origine des temps est fondamentalement noir. Africain, peut-être du Mali. On ne peut s’empêcher de reconnaitre le Blues dans les mélopées traditionnelles africaines. C’est un chant mystique, empreint de magie. D’ailleurs, les paroles nous le rappellent fréquemment. Ne serait-ce que les titres des plus grand succès du Blues : I Put A Spell On You, Got My Mojo Working, Vodoo Chile, Standing At the CrossRoads. Vous connaissez cette légende du croisement ?

Eh bien, dans les années 30, la scène du Delta Blues (Mississipi) aux Etats-Unis était dominée par un certain Charley Patton et sa bande d’amis, dont faisait partie Robert Johnson, guitariste et chanteur inexpérimenté. Il était l’objet de moqueries répétées tant son art de la guitare était imparfait. Robert, las, décida donc de partir, abandonnant ses camarades de jeu. Puis, un an après, il réapparut soudainement, proposant à ses anciens compères de scène de faire le Blues avec eux. Railleries, moqueries, accueillirent cette demande, puis finalement, Robert fut accepté sur scène. Et là, le choc ! Tous restèrent pantois, subjugués par tant de talent, d’émotion, d’authenticité, de maitrise de la guitare. Apres l’ovation triomphale bien méritée du jeune prodige, ses camarades en coulisse lui demandèrent son secret. Robert déclara avoir mystérieusement pactisé avec le Diable, alors qu’une nuit de pleine lune, qu’il s’était égaré, se retrouvant à minuit au centre d’un croisement au milieu de nulle part.

Mais le Blues est aussi magique par sa structure même, sa gamme pentatonique et ses rythmes envoutants. Au début, le rythme est tribal, moyen de communiquer à distance, puis il devient instrument de synchronisation des travailleurs noirs dans les plantations du sud des Etats-Unis, et enfin, il adopte le balancement des trains de marchandises partant du sud profond vers les grandes cités du nord dont Chicago. La gamme à 5 notes est fantastique en elle-même. En effet, qu’elle que soit la façon dont on en joue, quel que soit l’ordre des notes, elle reste toujours dans l’harmonie parfaite. C’est une découverte fabuleuse, qui permet, simplement en supprimant les 2e et la 5e degrés de la gamme chromatique que tout le monde connait, d’atteindre le nirvana musical. De la destruction nait la cohérence intrinsèque qui porte l’émotion à son paroxysme. Le cœur est touché en son centre, le blues fait le bien. « The Healer » comme le chantait si bien John Lee Hooker.

Mais la vocation première du Blues dans le sud des USA dans les années 30 était de raconter une histoire avant tout, la musique n’étant qu’un support. Quel genre d’histoire ? Des histoires d’amours déçues (Woke Up This Morning), des histoires de racisme (Alabama Blues), des histoires de magie et de vaudou déjà évoquées, mais aussi des histoires salaces, avec un langage à double sens : Come on in my kitchen, Good Morning Little School Girl, Got My Mojo Working (oui, Mojo signifie Gris-gris, Amulette aussi bien que …), You shook me all night long. La perle revient à ces paroles tirées d’une chanson de Roy Dunn : « She cooks cornbreads for her husband and she cooks biscuits for her backdoor man ». L’homme de la porte de derrière, que de fantasmes en perspective.

D’ailleurs, en passant, ces allusions au sexe se sont propagées au Jazz. Je pense en particulier à Lou Donaldson qui a su nous faire « vibrer » dans les années 70 avec certains albums dont les pochettes sont d’une sensualité explicite.

Bref, le blues est bien plus qu’une musique, et qui sait l’aimer ne s’en lasse jamais.

The Blues is Allright !