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LE MONDE | 10.12.2012 à 15h16 • Mis à jour le 10.12.2012 à 20h59Par Liao Yiwu, écrivain chinois en exil


Au moment où l'empire communiste chinois clôt son 18e congrès, le poète militant Li Bifeng s'est vu infliger, le 19 novembre, une lourde peine de douze années de prison. Cela marque un vrai retour en arrière.
C'était en 1990 dans la troisième prison de Sichuan que j'ai fait la connaissance de Li Bifeng. Parmi la vingtaine de détenus politiques de la cellule, une complicité s'est établie entre nous fondée sur notre amour commun pour la littérature.
En dépit de divergences occasionnelles causées par des approches différentes de l'écriture, le lien étroit noué entre nous deux s'est prolongé après notre sortie de prison au milieu des années 1990.

CONCEPTION DIFFÉRENTE DE NOTRE TRAVAIL D'ÉCRIVAIN

Nous avons continué à échanger nos manuscrits mais aussi nos idées sur la vie. Nous avons chacun une conception différente de notre travail d'écrivain. Je suis d'un naturel plus pessimiste et, en dehors de quelques performances données dans les bars pour gagner ma vie, je préférais, quand je vivais encore en Chine, rester plongé dans l'écriture.

Li Bifeng est, lui, un optimiste qui se lançait dans diverses actions politiques. En 1998, Li Bifeng fut de nouveau incarcéré pour avoir rédigé un reportage sur la manifestation des ouvriers du textile de Mianyang, sa ville natale.


La police a été alertée lorsqu'il a réussi à transmettre à des organisations des droits de l'homme étrangères son reportage sur ce rassemblement collectif et pacifique qui était parvenu à interrompre le trafic sur l'autoroute.


Cette fois-là, le régime communiste a changé de tactique en l'accusant "d'escroquerie économique" pour justifier une peine de sept ans de prison.


ARRÊTÉ POUR LA TROISIÈME FOIS


En 2011, Li Bifeng fut arrêté pour la troisième fois. Deux mois après ma fuite secrète à l'étranger par la frontière sino-vietnamienne, la police locale chargée de la sécurité nationale téléphonait à Li Bifeng pour l'inviter à échanger autour d'une tasse de thé.


Comme c'est une pratique habituelle, il s'est rendu à leur invitation. Cinq policiers l'ont aussitôt saisi en se jetant sur lui. Plaqué au sol, il fut menotté avant d'être embarqué dans un véhicule de police. De septembre 2011 à mai 2012, il a été soumis à des interrogatoires répétés, avant d'être finalement condamné il y a peu.


La nouvelle de l'incarcération de Li Bifeng m'est finalement parvenue par hasard de sources chinoises. Installé en Allemagne, je l'ai reçue comme un coup de tonnerre, car Li Bifeng était soupçonné d'être impliqué dans ma fuite. La police présume que Li Bifeng a financé ou aidé cette évasion, directement ou indirectement.


En réalité, ma fuite n'a rien à voir avec lui. Mais la dictature a ressorti ses vieilles méthodes en s'appuyant sur une accusation fabriquée de toutes pièces. Li Bifeng a été de nouveau condamné et cette fois à douze ans de prison.


Alors que le rideau tombe sur le 18e congrès de l'empire communiste, que les luttes de pouvoir à l'intérieur du Parti connaissent une trêve, et que les nouveaux dirigeants soignent leur entrée en scène, à quelques milliers de kilomètres de Pékin, dans une bourgade nommée Shehong (province de Sichuan), le tribunal a annoncé, après un procès marqué par des interruptions d'audience de plusieurs mois, qu'une peine de douze ans était requise à l'encontre d'un obscur poète.


CONDAMNÉ À VINGT-QUATRE ANNÉES DE PRISON


Et ce, malgré la plaidoirie de son avocat qui avait souligné le caractère suspect des preuves et l'absence de victime. A 48 ans, Li Bifeng a été condamné à vingt-quatre années de prison.


A l'instar de Liu Xiaobo, récipiendaire du prix Nobel de la paix de 2009, également emprisonné, Li Bifeng fait partie des personnages symboliques de l'histoire de Chine depuis le massacre de Tiananmen.

Mais les deux écrivains diffèrent. Liu Xiaobo est le prototype de l'élite de l'intelligentsia chinoise. Il en appelle à la venue d'un Vaclav Havel ou d'un Martin Luther King chinois, en plaçant ses espoirs sur l'avénement d'un homme qui pourrait incarner la conscience de la nation.

Li Bifeng, lui, est le symbole des bas-fonds de la société chinoise. Et cette "majorité silencieuse" n'est pas dénuée de conscience sociale, ni du sens des responsabilités qui caractérisent les élites intellectuelles. Ils mènent une vie de souris, condamnés à vivre dans des égouts sordides.


Prises dans les rets de la pauvreté et de la dictature, ces souris peuvent s'astreindre au silence éternel en une seule nuit. Eux qui jadis ont peuplé des dizaines de villes chinoises, en manifestant, en défilant, guidés par le courage et le sens du devoir, pour une cause juste, en offrant leur corps aux balles des troupes envoyées par la loi martiale.


Bien que Li Bifeng m'ait apporté du réconfort lors des moments les plus durs de ma vie ces dernières années, notre relation ressemblait plutôt à celle de souris blotties les unes contre les autres pour se réchauffer. Cela ne s'est cependant pas accompagné d'un sentiment de confiance.


Deux mois avant mon évasion, soit à la même époque où Ai Weiwei a mystérieusement disparu alors qu'il devait embarquer dans un avion en partance pour New York, Li Bifeng m'a invité chez lui.


Après des discussions habituelles sur l'écriture, Li Bifeng m'a soudainement demandé s'il me fallait de l'argent. J'ai répondu que non. Li Bifeng m'a ensuite demandé si j'avais besoin de soutien pour la route. Ce à quoi j'ai répondu ne vouloir aller nulle part.


Après cette scène surprenante, je me suis félicité de ne pas m'être fait tirer les vers du nez par Li Bifeng.


LA PALME DE L'ÉVASION RATÉE


Parmi les détenus politiques persécutés après les mouvements du 4 juin 1989, Li Bifeng détient la palme du Livre des records dans le domaine de l'évasion ratée. Sa première tentative a échoué lorsque, au lendemain du massacre de Tiananmen, il avait voulu fuir la Chine en franchissant la frontière sino-birmane.


Il avait déjà pénétré le territoire birman de plusieurs kilomètres quand il fut arrêté par les forces communistes birmanes qui l'ont aussitôt livré aux communistes chinois. Tombé dans les mains de ces derniers, il fut battu comme plâtre et en garde encore des séquelles.


Cinq ans après, à sa sortie de prison, il a récidivé en choisissant de passer clandestinement la frontière sino-russe dans le nord-est de la Chine.


En attendant d'être caché dans un container, après avoir payé un passeur, il a surpris une conversation de ce dernier qui voulait le vendre en tant que travailleur clandestin dans la ville de Chifeng, située de l'autre côté du fleuve de Heilongjiang. Il s'est alors sauvé à toutes jambes.



Après la traversée de toute la Chine, il est descendu dans le sud jusqu'à Shenzhen. En cherchant à fuir à nouveau à Hongkong, il a rôdé pendant deux heures à proximité de la frontière sino-britannique avant d'éveiller les soupçons des policiers frontaliers. Il a rapidement été capturé.


MALCHANCEUX RÉCIDIVISTE


Li Bifeng a enchaîné encore trois ou quatre tentatives de fuite qui sont toutes tombées à l'eau. Ces échecs répétés m'accablent de chagrin même si toutes ces déconvenues ont bien quelque chose de risible.


Malchanceux récidiviste, chaque tentative de fuite de Li Bifeng fut vouée à l'échec. Pourquoi alors, comme le prétendent les autorités chinoises, m'en serais-je remis à lui pour organiser ma propre fuite ?


Mais, cruel et stupide comme il est, l'empire communiste chinois ne se préoccupe guère de démêler le vrai du faux.


Condamné cette fois-ci à douze ans de prison, Li Bifeng aura 60 ans quand il sortira. Il sera un vieillard, physiquement incapable de reprendre la fuite, avec la mort dans l'âme.


Même s'il arrive dans un pays de liberté, sans connaître le b.a.-ba d'aucune langue étrangère, à qui pourra-t-il encore être d'une quelconque utilité ?


Ces dernières années, la police a confisqué les créations littéraires de Li Bifeng, des manuscrits constitués de millions de caractères. La police a déjà eu le bon plaisir de ne lui rendre aucun de ses manuscrits. Mais pourquoi jeter en prison cet homme qui n'a aucun sens politique ?


Le nouveau président Xi Jinping devrait savoir, car son propre père a été emprisonné par Mao Zedong, qu'envoyer un innocent en prison ne fait que provoquer un élan de sympathie de l'opinion publique pour la victime.

J'espère que mon témoignage pour Li Bifeng laissera une trace dans les mémoires et qu'il suscitera un sursaut d'indignation en sa faveur.

REMETTRE EN LIBERTÉ LI BIFENG


Depuis mai 2012, le nombre d'intellectuels du monde entier qui ont signé l'appel pour la libération de Li Bifeng s'élève déjà à plus de 300. Je suis persuadé que le nombre de signataires de cet appel va augmenter lentement et atteindre une dizaine de milliers. Je demande au gouvernement chinois de remettre en liberté Li Bifeng.


Fabriquer des accusations injustifiées, traiter la vie d'un être humain comme un fétu de paille, priver la femme de son mari et le fils de son père, il n'y a rien de juste dans tout cela. S'il reste encore une once d'humanité aux personnes chargées du procès de Li Bifeng, elles sauront bien que cette condamnation ne leur apportera aucune satisfaction.


De surcroît, le plus dangereux pour le pouvoir en place, c'est bien de fabriquer de nouveaux ennemis pour l'Etat, encore et encore.


Liao Yiwu
, écrivain chinois en exil


Ai Weiwei
, artiste en résidence surveillée à Pékin; Ha Jin, écrivain installé aux Etats-Unis; Herta Müller, écrivain (Prix Nobel de littérature 2009) et Salman Rushdie, écrivain, ont lu le texte de Liao Yiwu et soutiennent sa démarche.

Traduit du chinois par Marie Holzman et Adèle Liu

Liao Yiwu, écrivain chinois en exil
 
Annexe à l'article qui précède dans le Journal LE MONDE ...

Mo Yan, un apparatchik nobélisé

Bien que mon sentiment personnel ne soit pas un critère pour l'attribution du prix Nobel de littérature, je m'autorise à émettre de sérieux doutes quant à la personnalité et aux écrits de Mo Yan, à qui a été remis, le 10 décembre, l'édition 2012 de cette prestigieuse distinction.

Durant les vingt et quelques années qui ont suivi le massacre de Tiananmen en 1989, Mo Yan, qui était à l'époque un participant actif du mouvement pour la liberté et la démocratie, a connu une ascension fulgurante sur une scène littéraire contrôlée par le Parti communiste chinois.

LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME

Depuis la répression qui a suivi ce mouvement, Mo Yan n'a jamais exprimé son opinion ou sa préoccupation concernant les violations des droits de l'homme. Pour les intellectuels chinois, ce comportement s'apparente à celui des écrivains soviétiques qui oubliaient de mentionner le goulag.

Au contraire, en répondant à l'appel de Deng Xiaoping, Mo Yan a choisi la voie de"l'économie de marché aux caractéristiques de la Chine". C'est ainsi que le Parti et les auteurs approuvés par lui ont réussi à créer un partenariat avec le capitalisme occidental pour leurs transactions mondiales.

On peut dire de Mo Yan qu'il a établi un nouveau record dans le registre des "cyniques qui gagnent sur tous les tableaux", grâce à l'exceptionnel coup de pouce donné par le prix Nobel.

Pour être juste, il faut reconnaître que les écrits de Mo Yan dénoncent les maux du régime. Mais l'auteur situe sa critique sur le plan de la gouvernance locale, sans remettre en cause le régime communiste.

Les "irrégularités" locales sont souvent critiquées par le gouvernement central de toute manière. Celles-ci deviennent parfois un miroir nécessaire tenu devant les yeux du peuple pour démontrer la grandeur du parti qui les gouverne.

QUELQUES NOIRCEURS DE LA PÉRIODE MAOÏSTE

Mo Yan a aussi choisi de dévoiler quelques noirceurs de la période maoïste, dans les limites autorisées, mais en évitant soigneusement d'évoquer celles qui furent commises durant le règne des dirigeants actuels.
"Ecrire un poème après Auschwitz est barbare", disait Adorno. Pour la Chine, l'équivalent serait : écrire sans témoigner est honteux. Les gestes de Mo Yan vont au-delà du simple évitement.
Traduit du chinois par Marie Holzmann

Biographie

Liao Yiwu, écrivain chinois en exil, est lauréat du Prix de la paix 2012 de la Foire du livre de Francfort, en Allemagne.
Pour avoir écrit et récité publiquement le poème épique "Massacre" avant l'aube du 4 juin 1989, date à laquelle l'armée mit fin au mouvement de la place Tiananmen, puis pour en avoir fait un film intitulé "Requiem", Liao Yiwu fut arrêté en 1990 et jeté en prison pour quatre ans.
Il s'est enfui de Chine en 2011. Il fera paraître, en janvier 2013, "Dans l'empire des ténèbres", chez François Bourinraphie

 
Dernière édition:
Entendu sur BFM, émission Chine Hebdo, il y a quelques semaines, l'élan qui existe en Chine sur MO YAN et le désir des autorités locales (de son lieu de résidence) de créer un "parc d'attraction" utilisant son nom et ont "saisi" sa maison afin d'en faire un quasi lieu de pelrinage du fait de sa notoriété ...

Même émission du début du mois : interviews de chinois qui s'écharpent afin de savoir s'il doit y aller en queue de pie (ce que MO Yan a choisi) ou plutôt en costume chinois époque des TANGs ...

Célébrer le succès de quelqu'un soit ... Mais essayer de faire comme les autorités locales d'en tirer un maximum de profits ou se "battre" afin de savoir comment il doit s'habiller pour la cérémonie ... No comment
 
Entendu sur BFM, émission Chine Hebdo, il y a quelques semaines, l'élan qui existe en Chine sur MO YAN et le désir des autorités locales (de son lieu de résidence) de créer un "parc d'attraction" utilisant son nom et ont "saisi" sa maison afin d'en faire un quasi lieu de pelrinage du fait de sa notoriété ...

Même émission du début du mois : interviews de chinois qui s'écharpent afin de savoir s'il doit y aller en queue de pie (ce que MO Yan a choisi) ou plutôt en costume chinois époque des TANGs ...

Célébrer le succès de quelqu'un soit ... Mais essayer de faire comme les autorités locales d'en tirer un maximum de profits ou se "battre" afin de savoir comment il doit s'habiller pour la cérémonie ... No comment

Il est intrumentalise par nationalisme, inoffensif en tant qu'intellectuel, parfait pour le gouvernement.

( tu as copie 2 fois le dernier paragraphe)
 
J'avais lu quelque part un Chinois qui considerait Mo Yan comme le Liu Xiang de la litterature Chinoise.
Bon franchement je suis pas trop sur de ce qu'il veut dire, on peut l'interpreter un peu comme on veut.
 
En 2011, Li Bifeng fut arrêté pour la troisième fois. Deux mois après ma fuite secrète à l'étranger par la frontière sino-vietnamienne, la police locale chargée de la sécurité nationale téléphonait à Li Bifeng pour l'inviter à échanger autour d'une tasse de thé.
Comme c'est une pratique habituelle, il s'est rendu à leur invitation. Cinq policiers l'ont aussitôt saisi en se jetant sur lui. Plaqué au sol, il fut menotté avant d'être embarqué dans un véhicule de police. De septembre 2011 à mai 2012, il a été soumis à des interrogatoires répétés, avant d'être finalement condamné il y a peu.
Hahaha si ça c'est pas de la littérature...!!!