Journal entomologique d'un CHINTOK :Roberspierre "LES OBSEQUES D UN FOURMI"

Roberspierre

Membre Bronze
22 Mai 2010
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Journal entomologique d'un CHINTOK :Roberspierre "LES OBSEQUES D UNE FOURMI"

Aujourd'hui, rien ne pourra me toucher autant qu'une fourmi.
Ce fut vers la fin de l’après-midi. Une fourmi noire qui vient de n'importe où est apparue sur mon clavier pendant que je rédigeais des cartes postales de nouvel an pour mes amis à l’étranger. Elle grimpait et rampait sur les touches lentement, non sans problèmes : plusieurs fois elle a failli tomber dans le vide entre les touches. En la regardant de plus près, je croyais avoir repéré qu’elle était boiteuse.
Comme auparavant je n’avais jamais vu de fourmi handicapée, ma curiosité fut éveillée. Maigre et laide, elle marchait drôlement clopin-clopant. Et l’une des ses antennes a sûrement eu des problèmes, car elle était tordue, comme si on l’avait passé au fer à friser, et elle tentait sans cesse de la soigner avec ses ''pattes''.
De crainte qu'elle ne perturbe le fonctionnement de mon ordinateur, qui est un élément presque vital pour moi, je l'ai prise à la pointe du stylo et je l'ai lancé en l'air.
A ma grande surprise, la fourmi tenait bon. Elle s'accrochait au stylo de toutes ses forces, comme si elle s’y était collée. A la suite de ces tentatives infructueuses, je me suis arrêté. Comme je ne voulais pas lui faire de mal, je l'ai saisi doucement du bout des doigts et l'ai mis sur l'autre côté du bureau. Puis, j'ai repris mon écriture.
Le temps passait vite et la nuit tombait. J'ai allumé ma lampe de bureau. Sous le faisceau de lumière, j’ai tout de suite reconnu la fourmi, qui était juste sous la lampe.
Elle était plus boiteuse qu’avant. A un moment donné, elle se crispa d’une telle façon qu’elle changea complètement de forme : on aurait dit une boule noire, un bout de poussière. Cela me troubla, car je n’arrivais pas à décrypter à travers ses mouvements, si elle était dans une condition de santé critique ou bien si elle était en train de simuler sa mort, comme le fait souvent l’opossum en Amérique.
J’ai sorti mon appareil photo et l’ai photographié. Elle jouait de plus en plus bizarrement. Tantôt elle se battait comme un diable, tantôt elle s’agitait devant l’objectif, tantôt elle se calmait et arrangeait son antenne frisée à l’aide de ses deux pattes supérieures. Tantôt elle tournait en rond.
Au bout d’une demi heure, je me suis lassé. Elle ne faisait que ces mouvements incompréhensibles. J’ai éteint la lumière et suis parti regarder la télévision dans le salon.
Quand je suis revenu dans la chambre, je l’avais quasiment oublié. Comme d’habitude, j'ai rallumé mon ordinateur et la lampe. A peine l’ai-je fait, que j’ai vu la fourmi dans une boulette d’essuie-tout usé.
C’est une frileuse ! Je me suis dit : il fait très froid à cette période de fin d’année. Dans la boulette elle doit être bien plus au chaud que sur le bureau ou au sol.
Je la chatouillais avec une plume. Elle n’a pas bougé.
Une feignante ai-je pensé, et tout de suite j’ai décidé de la taquiner avec mon doigt.
Pas de réaction non plus.
Elle est morte !
Tout ce que j’avais vu d’elle, tous les effort qu’elle avait fait, ce n’était que pour trouver une place où elle pourrait confié son corps .Elle a dû être contente, parce qu’elle s’est enfin reposée dans un endroit peut-être « très agréable » par rapport au sol, à la boue, à l’égout, ou même à ma carafe d’eau où de temps en temps un moustique ou une fourmi se noyaient.
Elle avait dû être très malheureuse tout au long de sa vie, car elle était déjà handicapée. Elle s’est battue et enfin elle trouva son tombeau.
Combien d’hommes dans notre monde n’auront pas cette chance et devront travailler toute leur vie pour rien? Combien, parmi les puissants, justifient les guerres qu’ils ont
lancées.
Combien d'hommes n’ont même pas la chance de décider de leur fin…
 
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