«Des gens en sont morts pendant des milliers d’années» : il y a 25000 ans, une épidémie de coronavirus frappait l’Asie
Une étude internationale a découvert qu’une épidémie de coronavirus avait éclaté dans la région de l’Asie de l’Est il y a près de 900 générations. Le patrimoine génétique des personnes originaires de cette région en porte encore des traces. De là à les protéger? Rien n’est moins sûr.
Le 24 juin 2021
\
Bien avant le SARS-CoV-2, il y a près de 25 000 années, la population de l’Asie de l’Est subissait déjà une épidémie de coronavirus. Des chercheurs des universités d’Arizona, de Californie (Etats-Unis) et d’Adélaïde (Australie) ont fait cette découverte en comparant les génomes de milliers d’individus. Le combat contre cet ancien agent pathogène a en effet été si intense qu’il a laissé des traces dans les gènes de ses hôtes et de ses descendants. L‘étude - « spectaculaire », selon le généticien Lluis Quintana-Murci, professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur- vient de paraître dans la revue Current Biology.
Leurs travaux ont été rendus possibles grâce au projet international 1000 Génomes, lancé en 2008, qui a permis de constituer le plus grand catalogue public des variations génétiques humaines. Ils ont ainsi pu analyser le génome de 2504 individus de 26 populations ethniques sur cinq continents. « Le génome humain moderne contient des informations sur l’évolution qui remontent à des dizaines de milliers d’années, comme l’étude des anneaux d’un arbre nous donne un aperçu des conditions qu’il a connues au cours de sa croissance », explique le professeur Kirill Alexandrov, qui a participé à l’étude.
Alors que la pandémie actuelle a mis en évidence la vulnérabilité humaine face à des nouveaux virus, les scientifiques ont voulu savoir si d’anciennes épidémies de coronavirus ont entraîné une adaptation dans les populations humaines modernes.
Sélection naturelle
« Face à un nouveau virus qui provoque une pandémie, certains individus dans la population ancestrale ont une meilleure chance de survie car ils possèdent des variants génétiques aux effets protecteurs contre ce virus », explique au Parisien David Enard, professeur à l’université de l’Arizona, qui a participé à l’étude. « C’est la sélection naturelle. Ils ont par conséquent davantage de descendants et, à chaque génération, la variation génétique se répand un peu plus dans la population. »
Les chercheurs ont examiné les gènes qui produisent des protéines censées interagir avec les coronavirus. Ces 420 protéines, les VIP, peuvent être soit anti-virales, « elles attaquent le virus quand il est entré dans le corps », soit pro-virales, « le virus peut les utiliser à son avantage », précise David Enard. Ils ont constaté la présence de 42 variants génétiques portant la marque de cette production de protéines dans les gènes de certains individus : les Asiatiques de l’Est.
« Au départ, on n’avait pas d’a priori sur les populations à qui cela aurait pu arriver, donc on a testé les groupes ethniques de chaque continent (
NDLR : grâce à la base de données 1000 Génomes). Il s’est trouvé que le signal était spécifique aux Asiatiques de l’Est. »
Une immunité régionale ?
L’étape suivante a consisté à dater cette évolution génétique. Une compétence qui n’aurait pas été envisageable il y a encore deux ans. Mais depuis, « de nouvelles méthodes ont été développées. Elles permettent de savoir à partir de quand ces variants protecteurs ont commencé à se propager », explique le biologiste de l’évolution. Les scientifiques estiment que cette adaptation s’est produite il y a 900 générations, soit environ 25 000 ans, chez les peuples originaires de la région qui représente aujourd’hui la Chine, le Japon, la Mongolie, la Corée du Nord, la Corée du Sud et Taïwan.
« Nous pensons que la sélection a probablement été la plus forte lorsque la population d’hôtes naïfs a été infectée pour la première fois, avant de s’estomper progressivement à mesure que la population hôte s’adaptait à la pression virale », développent les chercheurs dans l’étude. « De même, une diminution de la virulence du virus au fil du temps, un phénomène qui a été rapporté pendant les épisodes à long terme de coévolution hôte-virus, entraînerait également une diminution progressive de la sélection au fil du temps. »
La pression épidémique apparue il y a 900 générations s'est atténuée avec le temps. Université de technologie du Queensland
L’étude montre bien que « les populations d’Asie de l’Est se sont adaptées depuis un bon moment aux coronavirus », souligne auprès du Parisien le généticien Lluis Quintana-Murci, qui a lu les travaux avec grand intérêt. Selon lui, cette adaptation génétique pourrait expliquer en partie la faible mortalité, par rapport au nombre de cas
, de certains pays d’Asie face au Covid-19. La Chine, par exemple, ne recense officiellement que 3,3 morts du Covid-19 par million d’habitants, à Taiwan ce taux atteint 23 et il est à 0,7 au Viêt Nam. A titre de comparaison, la France compte 970 morts par million d’habitants. « Certes, il existe des différences culturelles et sociales, mais cela n’explique pas des bilans aussi infimes », note le chercheur.
David Enard ne partage pas le même avis. « On parle d’un coronavirus ancien, qui n’est pas forcément présent actuellement. Or chaque nouveau virus est différent et nécessite de repartir de zéro. S’il y a une différence génétique liée a cette épidémie ancienne, elle ne serait que très faible et probablement insuffisante pour expliquer ce que l’on voit aujourd’hui », avance-t-il. Lui plaide plutôt pour « une résistance croisée avec d’autres coronavirus plus récents ».
Prévoir des vaccins
Au-delà du simple intérêt académique, cette recherche montre qu’il est possible « d’identifier les virus qui ont provoqué des épidémies dans un passé lointain et qui pourraient le faire à l’avenir », observent les scientifiques. « Cela nous permet, en principe, de dresser une liste des virus potentiellement dangereux, puis de développer des diagnostics, des vaccins et des médicaments pour le cas où ils reviendraient. »
Dans des milliers d’années, nos descendants porteront-ils en eux la trace de la pandémie de Covid-19, à l’image des populations d’Asie de l’Est avec cette ancienne épidémie de coronavirus ? « J’espère que non ! » lâche David Enard. « Nous on a la vaccination » qui permet d’échapper à la sélection naturelle, rappelle-t-il.
Ce qui l’inquiète en revanche, c’est que « ces populations humaines ancestrales ont dû s’adapter pendant des centaines de générations à ce coronavirus » qui a des similarités avec le SARS-CoV-2. « Des gens en sont morts pendant des milliers d’années. » Face à ce constat, le scientifique craint que le Covid-19 continue de tuer pendant « potentiellement plusieurs générations » si « le niveau de vaccination n’est pas suffisant ».
Lien retiré