Chronique Martiale "Brigands et Gardiens"

bison ravi

Ange
15 Oct 2010
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chine ou france
Chronique écrite par un collègue de kwoon.info qui m'a gentiment donné l'autorisation de la publier ici. Vous pourrez trouver toutes ses chroniques ici Lien retiré (il faut s'inscrire pour y avoir accès)

Brigands et Gardiens



Les arts martiaux, en Chine, faisaient autrefois référence à une variété de pratiques allant de l'entretien du corps des lettrés aux équivalents d'unités commandos modernes, en passant par les tours et démonstrations de foire, l'aide à la recherche spirituelle, la formation purement militaire, les assassins...
Parce que leurs buts étaient différents, les pratiques martiales et l'approche des situations d'affrontement étaient différentes (on retrouve cela plus ou moins de nos jours dans le monde des arts martiaux avec les différences entre pratiques de santé, orientées vers la compétition, l'apprentissage des formes, la self-défense, les méthodes militaires...). Et, si l'on pouvait adapter tel ou tel style aux buts recherchés, à l'inverse, certaines pratiques martiales, donc certains styles, ont été crée pour répondre à un de ces buts précis.
Il peut être intéressant pour le pratiquant qui cherche à approfondir les racines de sa pratique, d'essayer de retrouver le but spécialisé pour lequel a été crée, ou a évolué, leur art, surtout qu'à buts différents, principes différents, voire même opposés. C'est ainsi que l'on peut prendre, à titre d'exemple, les styles de brigands et les comparer aux styles de gardiens (mais sans en nommer aucun pour éviter les polémiques inutiles) parce qu'ils s'opposent et ont influencé, par leur présence importante dans les anciennes sociétés, de façon profonde les arts martiaux et la théorie martiale en Chine.

Brigands et gardiens avaient des buts opposés, donc devaient travailler des qualités différentes. Les premiers, en bref, devaient être discrets et se mouvoir rapidement à travers différents obstacles tandis que les seconds devaient maintenir leur position et protéger l'objet, ou la personne, dont il avaient la tâche. On pourrait dire que les seconds devaient être un mur imparable tandis que les premiers capables de franchir tous les murs. Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin pour comprendre qu'en cas d'affrontement, la façon de se battre des uns comme des autres allait différer, les premiers cherchant à atteindre ou à fuir, les seconds à maintenir et protéger.

Quelles différences cela allait-il avoir au niveau de la pratique?
Les styles de brigands vont s'orienter vers les pratiques dites légères, donc équilibriste, marcher sans bruit, savoir sauter haut, grimper aux mur, courir vite et longtemps (en réalité marcher, les bons artistes martiaux ne courent jamais, il marchent très vite), savoir se dissimuler... Ils vont préférer, dans leur entraînement, la mobilité (ce qui est parfois appelé "la maîtrise par le mouvement") au maintien, les postures mi-hautes aux basses, la stabilité (donc l'alignement) à l'enracinement (donc la capacité de répartir le plus bas possible le poids de son corps), la puissance du tronc à celle des jambes (pour faire simple. Le pied, ou talon, ne poussant pas dans le sol, par exemple), attacher comparativement plus d'importance à la tête (la région cou-tête contenant deux des trois assiettes du corps), au lancer du fouet qu'à son retour...
Les styles de gardes vont, eux, s'orienter vers les maîtrises dites de terre, donc un travail très important sur la capacité à s'alourdir, à pouvoir soulever, ou supporter, des charges très lourdes, à être ancré au point d'être inamovible au sol, à lancer très loin... Ils vont préférer, dans leur entraînement, le maintien (ce qui est parfois appelé "la maîtrise par la posture") à la mobilité, les postures très basses, l'enracinement à la stabilité, la puissance du bas des jambes à celle du tronc, attacher comparativement plus d'importance à la zone taille-bassin (qui représente deux assiettes à elle seule), au retour du fouet qu'à son lancer...

Quelles différences au niveau combat?
Les brigands vont beaucoup plus utiliser leur jeu de jambes, préférer prendre le centre par l'extérieur (les pieds passant par les côtés de l'adversaire) pour pouvoir continuer d'avancer vers la cible finale (l'objet à dérober ou la fuite) tout en incapacitant l'adversaire, rebondir lorsqu'ils donnent ou reçoivent un coup... C'est ainsi que pour le "poing qui avance" (coup droit et direct), leur jambe avant fera un petit demi-cercle à l'extérieur de la jambe adverse pour venir se placer derrière le pied, ou à côté dans le pire des cas, et que pour le "poing qui tourne" (esquive en vrillant la taille ou tournant les hanches sur soi même), leur mouvement s'apparentera à celui des tornades, tournant sans cesse mais sans être fixe. Ils resteront un peu plus sur l'impact (pour leur permettre de rebondir en même temps qu'il frappent l'adversaire), et la technique dite du double-impact (un coup mais deux impacts) se fera par détente en poussant vers l'avant juste après le premier impact.
Les gardes, eux, vont préférer pivoter sur place, préférer prendre le centre par l'intérieur (les pieds se dirigeant en ligne droite vers le milieu du corps de l'adversaire) pour essayer de bloquer la progression de l'ennemi, faire s'écrouler l'adversaire lorsqu'ils lui donnent, ou reçoivent de celui-ci, un coup... C'est ainsi que pour le "poing qui avance", leur jambe ira directement, en ligne droite, se placer entre les jambes de l'adversaire et que pour le poing qui tourne, leur mouvement s'apparentera à celui d'une vis que l'on vrille au sol, tournant sans jamais bouger les pieds. Ils resteront un peu moins sur l'impact, portant plus d'attention à la force de retour (comme, par exemple, le décrit la maxime "les mains reviennent plus vite qu'elles ne sont parties"), et la technique du double impact se fera par la détente avec un infime retour après le premier impact.

Bien sûr, cela reste très schématique (on pourrait développer encore plus, expliquer comment les brigands travaillent la lourdeur à partir de la légèreté et vice-versa...) et la réalité ne fut pas aussi simple, les échanges, incompréhensions, insuffisances, autres buts, etc. , ayant mélangé les pratiques, les styles un peu plus pur quasiment introuvables. Et, de nos jours, l'uniformisation qu'ont connu les arts martiaux, naît de la volonté d'avoir un art qui réponde à tout, et leurs simplifications nées des nécessités du rythme effréné de la vie moderne, ont fait même presque totalement oublier que les pratiques martiales ne marchaient pas toutes selon les mêmes principes, n'avaient pas forcément les mêmes buts (duels et combats militaires n'en étant que deux parmi bien d'autres), bien au contraire, et que certaines pratiques tout naturellement s'opposaient, voire même étaient incompatibles. Il peut, cependant, rester intéressant pour le pratiquant qui voudrait approfondir la compréhension de son art, de savoir à quel type d'activité martiale celui-ci semblait avoir été fait pour ou, pour le moins, être le plus approprié.
 
Superbe texte. Il a un vrai talent d'écrivain ton camarade.
Merci.
 
C'est une bibliothèque vivante, je te dis pas son niveau en chinois , études des textes anciens et tout le bataclan , mais c'est surtout un putain de pratiquant, c'est comment dire, faut goûter quoi.