Chine art contemporain

Cyril.G

Dieu suprême
17 Juin 2009
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Xian, Chine
Slate.fr Publié le 17/05/2012
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Pour humer l’atmosphère artistique de la Chine, il faut se rendre dans le quartier «798» à Pékin. Cette ancienne friche industrielle devenue en moins de dix ans la Mecque de l’art contemporain abrite des centaines de galeries, d’ateliers et de boutiques.

En ce mois d’avril, les autocars vomissent des flots de touristes dans les allées colorées de 798, touristes chinois voyageant en groupe, jeunes branchés venus humer un air de rébellion ou occidentaux en mal de pop art.

Sur la rue principale qui mène à l’ancienne voie de chemin de fer, se font face deux symboles de l’art contemporain. D’un côté une institution, le Centre d’art contemporain Ullens (Ullens Center for Contemporary Art - UCCA), du nom du Baron Guy Ullens, un milliardaire belge qui a ouvert en 2007 le plus grand musée privé de Chine.

Juste en face, derrière une brochette de dinosaures multicolores en céramique, on trouve le café galerie des frères Gao. Mais n’espérez pas trouver leurs installations ou leurs toiles chez le Baron. Les frères Gao sont interdits d’exposition en Chine. Comme Ai Wei Wei, leur«frère de lutte» comme ils l’appellent, les policiers ne les lâchent plus et ils sont davantage célèbres à Londres et New York que dans leur propre pays.
C’est donc dans son café, entouré de ses jeunes assistantes, que Gao Zhen, 62 ans, nous reçoit. Fidèle à son image de dandy, il est tout de blanc vêtu, le visage barré par des lunettes noires. Sur le mur on retrouve quelques-unes de ses œuvres: une photo à 15.000 dollars, un tableau gigantesque qui doit valoir dix fois plus cher. Et sur le sol, une céramique rouge vif à vendre 70.000 dollars. Les frères Gao sont riches.


La Chine, le pays des grands écarts. C’est aussi le cas de ses artistes qui gagnent des millions en crachant sur le régime communiste. Les frères Gao ne sont pas à une contradiction près. Pendant que Qiang est à New York pour préparer une nouvelle exposition, Zhen est à Pékin pour tenir la boutique. Les deux frères travaillent ensemble depuis 26 ans. Riches, célèbres, ils se disent pourtant en rupture avec la société, même s’ils refusent de partir.


«Nous sommes différents,
lance Gao Zhen. On ne suit pas le système chinois. On n’accepte pas la censure, on refuse de travailler de près ou de loin avec le gouvernement. Nous sommes juste inspirés par les changements politiques du pays. Voyez le personnage de Mao. Aujourd’hui, les jeunes artistes en ont fait un produit marketing pour les étrangers. Pour nous, il est l’homme qui a empêché la Chine de se développer. Le système mis en place par Mao est encore très présent aujourd’hui.»


Résultat, il faut demander une autorisation pour visiter leur galerie située à une encablure de là, au premier étage d’un vieil immeuble de briques rouges. C’est l’une des rares qui n’est pas ouverte au public…


Dans les galeries de 798, on ne compte plus en effet les figurines de Mao en plastique rouge, bleu ou jaune. Mao devenu l’icône du pop art chinois, voilà qui ne plaît pas aux frères Gao.
A la figure tutélaire du Grand Timonier, les frères Gao préfèrent celles des dissidents chinois: l’avocat aveugle Chen Guancheng ou le prix Nobel de la paix Liu Xiaobao se retrouvent dans plusieurs de leurs tableaux au côté du Premier ministre Wen Jiabao et des chars du massacre de Tiananmen. Dans leur galerie, Ben Laden assis en Lotus côtoie une grande fresque façon Révolution française de Delacroix.



De l'art, de la politique, mais aussi de l'argent


Chez les Gao, tout est politique. Même l’argent.
«Bien sûr nous gagnons de l’argent, explique Gao Zhen. Mais nous voulons d’abord faire passer notre message et nous faire entendre. Si nous sommes connus dans le monde entier, alors c’est une bonne chose. Notre devoir est de critiquer la politique, pas de l’utiliser pour gagner de l’argent. Nous sommes des artistes, mais d’abord des citoyens. Et tant mieux si cela nous rapporte quelque chose.»
Retour dans le musée du Baron. Nous sommes reçus cette fois par le directeur adjoint, You Yang. Jeune critique d’art, boucles d’oreilles et look branché, il estime que son musée doit être un pont entre la Chine et l’art. Les expositions sont impeccables et rassemblent des artistes en cour.
«Nous avons accueilli plus de 800.000 visiteurs l’an dernier, ce qui fait de nous le plus grand musée privé de Chine. C’est un succès.»
En ce moment, les installations de Jennifer Wa envahissent la grande salle. «Elle était l’une des artistes qui a participé à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008», lance You Yang certain que cela donne du crédit au travail de cette jeune Chinoise qui vit aujourd’hui à New York.



Une galerie marchande


Mais le succès d’UCCA a ses limites. D’abord la censure, omniprésente. Chaque exposition est passée au peigne fin: pas de sexe, pas de politique, rien qui ne puisse choquer le spectateur. En mars 2011, une exposition des œuvres d’Ai Wei Wei était prévue à l’UCCA. L’idée a vite été abandonnée malgré le souhait de Guy Ullens.Lien retiré et ne vient plus que très rarement à 798. Ensuite, il y a l’argent.
Comme il faut bien vivre dans un pays qui ne verse de subside aux artistes que lorsqu’ils travaillent pour la propagande, l’UCCA doit composer pour recevoir quelques aides de Pékin. Mais les chiffres sont confidentiels. Impossible de savoir combien la municipalité de Pékin verse au musée. Et puis, surtout, l’UCCA a fait des produits dérivés un véritable art. Café, restaurant, tee-shirts, posters… Rien n’échappe au sigle UCCA et à ses dinosaures multicolores devenus sa mascotte.
Des produits qui ont contribué à faire de 798 une vaste galerie marchande et à donner à l’art contemporain chinois des airs de fête foraine et de business lucratif. Mais, ce faisant, 798 se tire une balle dans le pied, avoue Yu Yang:

«Aujourd’hui les jeunes artistes chinois ont un problème de créativité
.Les universités produisent des copistes. Ils veulent être le prochainYue Minjun, riches et célèbres. Ils sont plus influencés par le marché et l’argent que par la création proprement dite.»

Gao Zhen lance, par provocation:

«C’est vous qui avez pourri l’art chinois
. Vous, les occidentaux. Les ventes aux enchères d’art chinois ont vu les prix s’envoler. Aujourd’hui, tout le monde veut être riche et peut-être riche en peignant. Il y a trop d’argent qui circule et personne ne parle plus d’art ni d’engagement. Aujourd’hui je vois deux groupes d’artistes en Chine: ceux qui ne pensent qu’à gagner de l’argent et ceux qui ne pensent qu’à leur langage artistique en oubliant le message.»
Reste cependant un troisième groupe: ceux qui, comme les frères Gao ou Ai Weiwei, sont devenus riches en devenant dissidents. Leur nouveau champ de bataille est Internet. Ai et Gao sont particulièrement actifs notamment sur Twitter et sur son équivalent chinois, Weibo. Leurs messages sont régulièrement censurés. Ce qui leur a donné la même idée: publier un livre de leurs tweets. Une nouvelle façon de gagner de l’argent tout en diffusant leurs messages.

Sébastien Le Belzic