L’un a vendu son exploitation à un investisseur du NingXia, d’autres déclinent leur catalogue en chinois. Les vignerons de Bordeaux ont trouvé à l’autre bout du monde un débouché inespéré pour pallier le marasme du marché français.
Par PASCALE NIVELLE Envoyée spéciale dans le Bordelais
Li Lijuan dirige le château Grand-Mouëys à Capian (Photo Rodolphe Escher)
Les nouveaux propriétaires ne sont là que depuis une semaine, mais les 14 employés du château Grand-Mouëys savent déjà dire «Bonjour monsieur le président» en mandarin. Li Lijuan, alias Lili, leur donne des cours chaque matin. Quand le boss, monsieur Zhang, reviendra sur ses nouvelles terres girondines, ce sera comme en Chine. Tout le monde lèvera son verre, et «ganbei !», cul sec.
Lien retiré
De gauche à droite, Li Lijuan, Bruno Baylet, Stéphane Defraine, Eric Bantegnies. Photos Rodolphe Escher
Pour l’heure, l’ancien propriétaire, Michel Bömers, 73 ans, déambule comme un fantôme dans le château néogothique, tout en tours et en créneaux. En quatre ans, monsieur Zhang, PDG d’un groupe de 1 200 salariés, est le seul acheteur sérieux à s’être présenté.
La négociation, «très dure», a duré plus d’un an. Monsieur Zhang, qui avait visité 40 propriétés avant de s’arrêter à Grand-Mouëys, était entouré des meilleurs avocats, des meilleurs experts. Les discussions se sont faites par mail entre l’Entre-Deux Mers et la province du NingXia, au beau milieu de l’empire du Milieu. «Dur, répète monsieur Bömers, on a failli se fâcher plusieurs fois». A peine l’affaire était-elle conclue, que Lili, la «manager» de 28 ans, s’installait aux manettes. «Je vis dans un château, c’est la meilleure période de ma vie», dit celle qui se présente comme «la gagnante de la Nouvelle star en Chine». Recrutée pour son dynamisme, elle a aussitôt enclenché la révolution au château Mouëys : «On va faire un golf, une piscine, un restaurant de canard laqué, un salon VIP, un hôtel de luxe… Notre projet, c’est de faire venir 10 000 Chinois par an, il faudra construire un parking pour les bus.» Par l’embrasure en pierre de taille, elle dessine d’un geste le nouvel horizon : «La balustrade, on la recule de 30 mètres. Les arbres, on les coupe. Et la colline, là, c’est pas beau, on va faire tout plat.» M. Zhang, «nouveau riche» selon son assistante, dit toujours que «l’argent n’est pas un problème».
Et le vin ? «On va l’améliorer, recruter l’œnologue du château Petrus, vendre 90% de la production en Chine. Chez nous, le vin est un produit de luxe, et on considère que c’est bon pour la santé, surtout pour les femmes.» Commercialement, l’affaire sera excellente, si l’on suit le raisonnement de Lili : «Les Chinois aiment se saouler à l’alcool blanc. Mais faire cul sec avec du vin, c’est mieux. On en boit plus et on ne se rend pas malade.»
«Ganbei», les voisins de M. Zhang connaissent. Au château Landereau, Bruno Baylet est de cette France heureuse des nouveaux équilibres dessinés par la mondialisation. Héritier de trois générations de vignerons, il tend sa carte de visite à deux mains. Le recto est en chinois. Deux à trois fois par an, il part à Shanghai ou à Wuhan vendre son bordeaux. «Depuis 2008, c’est chaud bouillant pour le vin. La Chine, tout le monde s’y met.» Les Français ne consommant plus que 50 litres par an, la moitié de ce qu’ils buvaient il y a vingt ans, Bruno Baylet a dû renforcer ses ventes à l’exportation. D’abord en Europe, puis aux Etats-Unis. Puis sur le marché chinois, qui a démarré en flèche.
«Au début, ils réclamaient seulement des vieux millésimes, ce qui nous a permis de renouveler nos stocks. Puis ils ont appris à apprécier les vins plus jeunes, cela va très vite.» Sa chance, dit-il, c’est l’étiquette «bordeaux», aussi réputée en Chine que le monogramme Louis Vuitton. Et de pouvoir écouler ses rouges à 6 ou 7 euros dans le sillage des grands crus.
Chaque voyage est une aventure, parfois épuisante, toujours riche : «Les dégustations se font au milieu du repas, chacun se sert n’importe comment. Et on termine cul sec au baijiu, l’alcool de riz. Ce n’est vraiment pas notre culture, mais c’est toujours très chaleureux.»
«Tout le monde à la baguette»
Quand ses clients viennent en France, ce qu’ils adorent, Bruno Baylet les reçoit dans son château, évitant de servir viandes rouges, fromages et desserts : «On se met à table à 19 heures, et à 20 h 30, ils sont dans leur hôtel. Nous qui aimons les apéros qui traînent sous le tilleul, ça nous change.» En affaire aussi, il faut s’adapter : «A chaque commande, il faut repartir de zéro, et faire très attention au mode de règlement.» En Chine, Bruno Baylet se fait l’impression d’être un pionnier : «On tâtonne, on découvre, et on se sent quand même très seuls. En France, lors des voyages présidentiels à l’étranger, on parle des TGV, de Dior, des avions. Mais les vignerons qui représentent l’équivalent de 180 Airbus par an, on n’en parle jamais !»
Bruno Baylet travaille dix heures par jour, prend une semaine de vacances par an et n’a guère de temps pour s’intéresser à la politique. Il rêve seulement d’un président qui serait fier des terroirs français, «les plus beaux du monde», et qui poserait un verre de rouge à la main : «Chirac buvait de la bière, Sarkozy du Coca… Il n’y a que Juppé qui aime le vin !» En 2011, les vins ont représenté le deuxième poste excédentaire de la balance commerciale française, près de 7 milliards d’euros. Derrière l’aéronautique, mais loin devant le luxe.
Depuis 2010, la Chine (y compris Hongkong) est au premier rang des exportations de vins de Bordeaux. Et d’ici à 2015, les Chinois auront augmenté leur consommation (1,5 litre par habitant actuellement) de 54%. Outre le château Mouëys, ils ont acheté une trentaine de propriétés dans le Bordelais ces dernières années. «Tout le monde doit se mettre à la baguette», sourit Eric Bantegnies, 48 ans, qui exploite, avec son frère Frantz, 70 hectares dans les côtes-de-bordeaux. Pour lui, le marché chinois a sauvé Bordeaux, au bord de la crise au début des années 2000. Cette année, il doublera le nombre de palettes qu’il expédie en Chine, passant à 30% de sa production. Shenzhen, Canton, Foshan : lui aussi arpente la Chine, avalant des kilomètres, des verres de baijiu et de longues soirées au karaoké. «Ce sont des négociateurs hors pair, dit-il. Il faut y aller avec ceinture et bretelles, et partir de très haut, sinon on finit tout nu.»
Avec ses clients, le vigneron ne joue pas dans la même catégorie : l’un d’eux, amateur fidèle de son château Bertinerie, a récemment acheté pour 200 000 euros de grands crus destinés à sa cave personnelle, dont un château-lafite à 1 200 euros hors taxes, détail d’importance quand on sait que les taxes prélevées par la République populaire s’élèvent à plus de 40%.
Une foi de missionnaire
Ni kamikaze, «comme la cohorte de petits bordeaux qui partent en Chine en cassant les prix», ni aristo, «comme les grands crus qui se vendent à des prix indécents», Eric Bantegnies défend son AOC en Chine avec une foi de missionnaire : «C’est un eldorado, comme l’était l’ouest américain il y a trois siècles. Là-bas, les gens boivent notre vin autant que nos paroles.» Mais il reste prudent : «Ce n’est pas demain que le Chinois lambda descendra acheter une bouteille pour le dîner.
En Chine, le vin est un marqueur qui désigne la catégorie sociale à laquelle on aspire appartenir.» Seul problème de l’eldorado chinois, la diplomatie, ou plutôt le manque de diplomatie : «On peut se fâcher avec Bush ou Obama, pas de problème. Mais se fâcher avec Hu Jintao, c’en est un gros. Il m’est arrivé d’avoir des palettes bloquées pendant six semaines… Ce n’est pas normal de payer les sautes d’humeur d’un maire de Paris qui a élu le dalaï-lama citoyen d’honneur !» Si le prochain président promettait d’éviter de «faire cocorico sur les droits de l’homme, tout en œuvrant discrètement pour faire évoluer la situation», Eric Bantegnies voterait pour lui. Sinon, la politique «[lui] passe à 3 000 kilomètres au-dessus des oreilles». Il dit : «Sarkozy ou Hollande, ça ne changera rien.» Ses meilleurs ambassadeurs sont les clients chinois qu’il invite dans sa propriété, et introduit dans les grands châteaux du Médoc : «Mieux ils nous connaîtront, plus ils s’implanteront dans nos vignobles, mieux ce sera pour l’export. On a de la chance qu’ils viennent à Bordeaux plutôt que dans le Languedoc ou la Bourgogne!»
Des hauteurs de son château Fontenille, Stéphane Defraine, 55 ans, aperçoit les futaies du château Grand-Mouëys, l’acquisition de M. Zhang. Belge, installé depuis trente ans dans l’Entre-Deux Mers, il avait un Allemand pour voisin, et maintenant c’est un Chinois. «Avant les Français, il y a eu les Anglais. Bordeaux est international depuis longtemps, c’est une évolution normale», dit-il. Il y a un an, il s’est mis à exporter en Chine, prudemment, pas plus de 20 000 bouteilles, 15% de sa production, par l’intermédiaire d’un ami courtier . «Ce sont les Chinois qui sont venus me trouver. Mais j’ai attendu que le marché évolue car au début, ils ne prenaient rien à plus de 2 euros la bouteille, que du rouge, et ils réclamaient des étiquettes bling-bling, dorées sur tranche.»
Stéphane Defraine a fait avec ces nouveaux clients comme avec les plus anciens, racontant sa vigne, ses raisins, sa vendange : «Vendre du vin, cela n’a aucun intérêt en soi, il faut qu’il y ait un partage.» Pour cela, il a observé ses partenaires : «Une bouteille de bordeaux pour un Chinois, c’est un bout de France, un peu de mode de vie occidentale, il se donne un statut social en l’achetant.» Une façon d’exporter un peu plus que des palettes de bouteilles, dans un pays doté de gastronomes, fins palais habitués à déguster des thés subtils. «On a tout pour s’entendre, dit le vigneron, et en plus ils n’ont pas diabolisé l’alcool, comme nous.» S’il votait, ce serait pour le candidat qui réviserait la loi Evin (1991), qui a «stigmatisé» le vin. «Tout ce côté puritain m’ennuie. On ne peut plus boire un coup, fumer une clope ou regarder sa voisine.» Celle-ci ne s’en formaliserait pas, pourtant.
A quelques centaines de mètres du château Fontenille, assise au piano demi-queue désaccordé du vieux M. Bömers, Lili chante à tue-tête le tube qui l’a fait élire Miss Super Girl dans sa ville de Chengdu, dans le Sichuan. «Ça manque d’ambiance», dit-elle.
Lien retiré
Par PASCALE NIVELLE Envoyée spéciale dans le Bordelais
Li Lijuan dirige le château Grand-Mouëys à Capian (Photo Rodolphe Escher)
Les nouveaux propriétaires ne sont là que depuis une semaine, mais les 14 employés du château Grand-Mouëys savent déjà dire «Bonjour monsieur le président» en mandarin. Li Lijuan, alias Lili, leur donne des cours chaque matin. Quand le boss, monsieur Zhang, reviendra sur ses nouvelles terres girondines, ce sera comme en Chine. Tout le monde lèvera son verre, et «ganbei !», cul sec.
Lien retiré
De gauche à droite, Li Lijuan, Bruno Baylet, Stéphane Defraine, Eric Bantegnies. Photos Rodolphe Escher
Pour l’heure, l’ancien propriétaire, Michel Bömers, 73 ans, déambule comme un fantôme dans le château néogothique, tout en tours et en créneaux. En quatre ans, monsieur Zhang, PDG d’un groupe de 1 200 salariés, est le seul acheteur sérieux à s’être présenté.
La négociation, «très dure», a duré plus d’un an. Monsieur Zhang, qui avait visité 40 propriétés avant de s’arrêter à Grand-Mouëys, était entouré des meilleurs avocats, des meilleurs experts. Les discussions se sont faites par mail entre l’Entre-Deux Mers et la province du NingXia, au beau milieu de l’empire du Milieu. «Dur, répète monsieur Bömers, on a failli se fâcher plusieurs fois». A peine l’affaire était-elle conclue, que Lili, la «manager» de 28 ans, s’installait aux manettes. «Je vis dans un château, c’est la meilleure période de ma vie», dit celle qui se présente comme «la gagnante de la Nouvelle star en Chine». Recrutée pour son dynamisme, elle a aussitôt enclenché la révolution au château Mouëys : «On va faire un golf, une piscine, un restaurant de canard laqué, un salon VIP, un hôtel de luxe… Notre projet, c’est de faire venir 10 000 Chinois par an, il faudra construire un parking pour les bus.» Par l’embrasure en pierre de taille, elle dessine d’un geste le nouvel horizon : «La balustrade, on la recule de 30 mètres. Les arbres, on les coupe. Et la colline, là, c’est pas beau, on va faire tout plat.» M. Zhang, «nouveau riche» selon son assistante, dit toujours que «l’argent n’est pas un problème».
Et le vin ? «On va l’améliorer, recruter l’œnologue du château Petrus, vendre 90% de la production en Chine. Chez nous, le vin est un produit de luxe, et on considère que c’est bon pour la santé, surtout pour les femmes.» Commercialement, l’affaire sera excellente, si l’on suit le raisonnement de Lili : «Les Chinois aiment se saouler à l’alcool blanc. Mais faire cul sec avec du vin, c’est mieux. On en boit plus et on ne se rend pas malade.»
«Ganbei», les voisins de M. Zhang connaissent. Au château Landereau, Bruno Baylet est de cette France heureuse des nouveaux équilibres dessinés par la mondialisation. Héritier de trois générations de vignerons, il tend sa carte de visite à deux mains. Le recto est en chinois. Deux à trois fois par an, il part à Shanghai ou à Wuhan vendre son bordeaux. «Depuis 2008, c’est chaud bouillant pour le vin. La Chine, tout le monde s’y met.» Les Français ne consommant plus que 50 litres par an, la moitié de ce qu’ils buvaient il y a vingt ans, Bruno Baylet a dû renforcer ses ventes à l’exportation. D’abord en Europe, puis aux Etats-Unis. Puis sur le marché chinois, qui a démarré en flèche.
«Au début, ils réclamaient seulement des vieux millésimes, ce qui nous a permis de renouveler nos stocks. Puis ils ont appris à apprécier les vins plus jeunes, cela va très vite.» Sa chance, dit-il, c’est l’étiquette «bordeaux», aussi réputée en Chine que le monogramme Louis Vuitton. Et de pouvoir écouler ses rouges à 6 ou 7 euros dans le sillage des grands crus.
Chaque voyage est une aventure, parfois épuisante, toujours riche : «Les dégustations se font au milieu du repas, chacun se sert n’importe comment. Et on termine cul sec au baijiu, l’alcool de riz. Ce n’est vraiment pas notre culture, mais c’est toujours très chaleureux.»
«Tout le monde à la baguette»
Quand ses clients viennent en France, ce qu’ils adorent, Bruno Baylet les reçoit dans son château, évitant de servir viandes rouges, fromages et desserts : «On se met à table à 19 heures, et à 20 h 30, ils sont dans leur hôtel. Nous qui aimons les apéros qui traînent sous le tilleul, ça nous change.» En affaire aussi, il faut s’adapter : «A chaque commande, il faut repartir de zéro, et faire très attention au mode de règlement.» En Chine, Bruno Baylet se fait l’impression d’être un pionnier : «On tâtonne, on découvre, et on se sent quand même très seuls. En France, lors des voyages présidentiels à l’étranger, on parle des TGV, de Dior, des avions. Mais les vignerons qui représentent l’équivalent de 180 Airbus par an, on n’en parle jamais !»
Bruno Baylet travaille dix heures par jour, prend une semaine de vacances par an et n’a guère de temps pour s’intéresser à la politique. Il rêve seulement d’un président qui serait fier des terroirs français, «les plus beaux du monde», et qui poserait un verre de rouge à la main : «Chirac buvait de la bière, Sarkozy du Coca… Il n’y a que Juppé qui aime le vin !» En 2011, les vins ont représenté le deuxième poste excédentaire de la balance commerciale française, près de 7 milliards d’euros. Derrière l’aéronautique, mais loin devant le luxe.
Depuis 2010, la Chine (y compris Hongkong) est au premier rang des exportations de vins de Bordeaux. Et d’ici à 2015, les Chinois auront augmenté leur consommation (1,5 litre par habitant actuellement) de 54%. Outre le château Mouëys, ils ont acheté une trentaine de propriétés dans le Bordelais ces dernières années. «Tout le monde doit se mettre à la baguette», sourit Eric Bantegnies, 48 ans, qui exploite, avec son frère Frantz, 70 hectares dans les côtes-de-bordeaux. Pour lui, le marché chinois a sauvé Bordeaux, au bord de la crise au début des années 2000. Cette année, il doublera le nombre de palettes qu’il expédie en Chine, passant à 30% de sa production. Shenzhen, Canton, Foshan : lui aussi arpente la Chine, avalant des kilomètres, des verres de baijiu et de longues soirées au karaoké. «Ce sont des négociateurs hors pair, dit-il. Il faut y aller avec ceinture et bretelles, et partir de très haut, sinon on finit tout nu.»
Avec ses clients, le vigneron ne joue pas dans la même catégorie : l’un d’eux, amateur fidèle de son château Bertinerie, a récemment acheté pour 200 000 euros de grands crus destinés à sa cave personnelle, dont un château-lafite à 1 200 euros hors taxes, détail d’importance quand on sait que les taxes prélevées par la République populaire s’élèvent à plus de 40%.
Une foi de missionnaire
Ni kamikaze, «comme la cohorte de petits bordeaux qui partent en Chine en cassant les prix», ni aristo, «comme les grands crus qui se vendent à des prix indécents», Eric Bantegnies défend son AOC en Chine avec une foi de missionnaire : «C’est un eldorado, comme l’était l’ouest américain il y a trois siècles. Là-bas, les gens boivent notre vin autant que nos paroles.» Mais il reste prudent : «Ce n’est pas demain que le Chinois lambda descendra acheter une bouteille pour le dîner.
En Chine, le vin est un marqueur qui désigne la catégorie sociale à laquelle on aspire appartenir.» Seul problème de l’eldorado chinois, la diplomatie, ou plutôt le manque de diplomatie : «On peut se fâcher avec Bush ou Obama, pas de problème. Mais se fâcher avec Hu Jintao, c’en est un gros. Il m’est arrivé d’avoir des palettes bloquées pendant six semaines… Ce n’est pas normal de payer les sautes d’humeur d’un maire de Paris qui a élu le dalaï-lama citoyen d’honneur !» Si le prochain président promettait d’éviter de «faire cocorico sur les droits de l’homme, tout en œuvrant discrètement pour faire évoluer la situation», Eric Bantegnies voterait pour lui. Sinon, la politique «[lui] passe à 3 000 kilomètres au-dessus des oreilles». Il dit : «Sarkozy ou Hollande, ça ne changera rien.» Ses meilleurs ambassadeurs sont les clients chinois qu’il invite dans sa propriété, et introduit dans les grands châteaux du Médoc : «Mieux ils nous connaîtront, plus ils s’implanteront dans nos vignobles, mieux ce sera pour l’export. On a de la chance qu’ils viennent à Bordeaux plutôt que dans le Languedoc ou la Bourgogne!»
Des hauteurs de son château Fontenille, Stéphane Defraine, 55 ans, aperçoit les futaies du château Grand-Mouëys, l’acquisition de M. Zhang. Belge, installé depuis trente ans dans l’Entre-Deux Mers, il avait un Allemand pour voisin, et maintenant c’est un Chinois. «Avant les Français, il y a eu les Anglais. Bordeaux est international depuis longtemps, c’est une évolution normale», dit-il. Il y a un an, il s’est mis à exporter en Chine, prudemment, pas plus de 20 000 bouteilles, 15% de sa production, par l’intermédiaire d’un ami courtier . «Ce sont les Chinois qui sont venus me trouver. Mais j’ai attendu que le marché évolue car au début, ils ne prenaient rien à plus de 2 euros la bouteille, que du rouge, et ils réclamaient des étiquettes bling-bling, dorées sur tranche.»
Stéphane Defraine a fait avec ces nouveaux clients comme avec les plus anciens, racontant sa vigne, ses raisins, sa vendange : «Vendre du vin, cela n’a aucun intérêt en soi, il faut qu’il y ait un partage.» Pour cela, il a observé ses partenaires : «Une bouteille de bordeaux pour un Chinois, c’est un bout de France, un peu de mode de vie occidentale, il se donne un statut social en l’achetant.» Une façon d’exporter un peu plus que des palettes de bouteilles, dans un pays doté de gastronomes, fins palais habitués à déguster des thés subtils. «On a tout pour s’entendre, dit le vigneron, et en plus ils n’ont pas diabolisé l’alcool, comme nous.» S’il votait, ce serait pour le candidat qui réviserait la loi Evin (1991), qui a «stigmatisé» le vin. «Tout ce côté puritain m’ennuie. On ne peut plus boire un coup, fumer une clope ou regarder sa voisine.» Celle-ci ne s’en formaliserait pas, pourtant.
A quelques centaines de mètres du château Fontenille, assise au piano demi-queue désaccordé du vieux M. Bömers, Lili chante à tue-tête le tube qui l’a fait élire Miss Super Girl dans sa ville de Chengdu, dans le Sichuan. «Ça manque d’ambiance», dit-elle.
Lien retiré
Dernière édition: