Depuis Marco Polo, la Chine effraie, séduit et fascine

NicoBou

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14 Mai 2014
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Arte a diffusé une interview du réalisateur Jean Michel Carré :

Pour « Chine, le nouvel empire », Jean-Michel Carré a interviewé sur place des témoins de tous horizons pour nous aider à comprendre de l’intérieur les mutations d’un pays appelé, selon lui, à dominer le monde. Entretien.


© Les films Grains de sable

Chine, le nouvel empire

  • Le XXIe siècle, dites-vous dans votre film, sera probablement chinois. Cette perspective ne semble pas vous effrayer...
    Jean-Michel Carré : Nous vivons depuis trente ans un bouleversement extraordinaire, qui a vu le centre de gravité du pouvoir mondial passer de l’Atlantique au Pacifique. Grâce à son poids démographique de 1,5 milliard d’habitants, mais aussi à son dynamisme sans égal, la Chine a réussi depuis 2001, année de son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce, à devenir la deuxième économie mondiale, et sera bientôt la première. C’est vrai que nos économies subissent de plein fouet cette formidable montée en puissance. Mais à qui la faute ? Ce sont les investisseurs occidentaux, à la recherche de marges toujours plus juteuses, qui ont fourni à la Chine les clés de son succès. Cela dit, c’est aussi parce qu’on ne la connaît pas ou mal que la Chine fait peur. C’est pourquoi j’ai eu envie de tenter ce pari un peu fou : peindre une société complexe, une histoire foisonnante, en trois heures de film.

  • Pourquoi avez-vous choisi d’interviewer uniquement des Chinois vivant en Chine, donc soumis à la surveillance des autorités ?
    Chacun de mes interlocuteurs a souhaité s’exprimer à visage découvert, en assumant les risques d’une parole dont la liberté m’a moi-même étonné. Je voulais offrir au grand public, non pas la vision généralement ethnocentrique que les médias occidentaux donnent de la Chine, mais l’image, infiniment plus paradoxale et plus riche, que les Chinois en ont. C’est pourquoi j’ai rencontré ces personnes de tous les horizons, dans toute la Chine. Il suffit de les écouter pour comprendre qu’en dépit de la censure et de la répression, le débat, la réflexion, la critique n’en sont pas moins intensément vivants en Chine. Je crois avoir abordé grâce à eux tous les problèmes essentiels de cette société en pleine mutation. Le tableau n’a rien d’idyllique, et pourtant, ces trois ans de travail m’ont insufflé beaucoup plus d’espoir que d’inquiétude.
    Peut-être parce qu’on ressent de façon palpable une confiance en soi et en l’avenir, y compris pour changer les choses, que l’Europe a perdue depuis la fin des Trente Glorieuses.


    La nouvelle génération de travailleurs est de moins en moins disposée à se laisser faire : il y a en moyenne 300 grèves et manifestations par jour en Chine !

  • Vous dépeignez cependant une société à deux vitesses, où les écarts se creusent de façon abyssale, où « l’État de non-droit » garantit le succès d’une économie ultralibérale...
    Oui, mais je comprends en même temps la réticence des Chinois à s’entendre donner des leçons par l’Occident, par exemple à propos de leur politique d’expansion en Afrique, tout de même plus respectueuse que le pillage en règle qui a eu lieu sous la colonisation européenne. Sur le plan intérieur, la nouvelle génération de travailleurs est de moins en moins disposée à se laisser faire : il y a en moyenne 300 grèves et manifestations par jour en Chine ! En même temps, dans quel autre pays au monde l’État décide-t-il d’augmenter les salaires de 20 % par an ? Les multinationales occidentales ont d’ailleurs été les premières à protester.

  • Ce paradoxe unique au monde – ouverture économique, verrouillage politique – est-il amené à évoluer ?
    Il est vrai qu’entre cette adaptation extraordinaire à la mondialisation et le contrôle dictatorial que le parti unique continue d’exercer, la contradiction est de plus en plus manifeste. En même temps, j’ai senti chez tous mes interlocuteurs, y compris chez les dissidents, la crainte d’une certaine forme de chaos si le système venait à s’effondrer. La plupart souhaitent qu’il se transforme de l’intérieur, mais la culture confucéenne mêlée de marxisme qui imprègne les mentalités favorise l’adhésion à une forme d’idéal collectif, qui fait passer les droits du peuple avant ceux de l’homme. Le nationalisme est un puissant ferment de cohésion, dont le pouvoir joue avec habileté. Les Chinois expriment ainsi une véritable fierté d’avoir progressé aussi vite vers un objectif qu’ils sont nombreux à partager avec leurs dirigeants : accéder au premier rang économique mondial.
 
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