"A la folie"

- Résistons -

Alpha & Oméga
30 Août 2014
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法国
Wang Bing revient avec un nouveau documentaire pour nous décrire le monde psychiatrique en Chine.
Apres " A l'ouest des rails" Lien retiré, "le fossé", ou encore " les trois soeurs du Yunnan", "A la folie" nous plonge dans une réalité que le gouvernement aura bien du mal a reformer malgré des annonces il y a deux ans et les fonds débloques il y a un an.
Pour en savoir plus:
Lien retiré

Si vous voulez découvrir ses documentaires/films, disponibles ici:
L'homme sans nom

Coal Money
http://www.tudou.com/programs/view/ubF0YhLTnNM/

Et quelques extraits des trois soeurs du Yunnan
 
Dernière édition:
Alors, la Chine

Livre d'entretien avec Emmanuel Burdeau et Eugenio Renzi
WANG BING
Editions les prairies ordinaires
176 pages, 17 euros

Extraits:
http://www.lesprairiesordinaires.com/uploads/2/1/0/6/21065838/bing.pdf

" ‘Til Madness Do Us Part, présenté hors compétition lors de l’édition 2013 du Festival de Venise, a été tourné dans un asile psychiatrique. Les patients que Wang Bing filme ont été hospitalisés à la suite d’une demande de la famille ou de la police. Ce sont des pauvres, des travailleurs, des paysans déracinés. Si le fait d’avoir raté le train de la modernité et de la richesse, par indifférence ou par malchance, n’est pas le signe d’une maladie mentale, alors ces patients ne sont pas forcément des fous. L’asile se trouve à proximité de Kunming, la capitale du Yunnan. On est à trois mille kilomètres des usines de Tiexi. L’on croirait pourtant retrouver ici, « au sud des nuages », les personnages et les lieux découverts autrefois, dans «Rouille » et « Vestiges ». Comme si ‘Til Madness ajoutait un épisode de plus à la trilogie sur la fin de l’industrie lourde d’État et, avec dix années de recul, apportait une réponse à la question: que sont devenus les ouvriers une fois qu’a disparu leur lieu de travail ? Le bâtiment de l’hôpital se développe sur deux étages. Au premier, où nous n’entrerons jamais, logent les femmes. Wang Bing filme le second, celui des hommes, avec la même aisance que nous lui avons vue dans À l’Ouest des rails. lorsqu’il s’agissait de circuler dans l’espace sécurisé des usines ou encore lorsqu’il s’agissait de poser la caméra dans des lieux privés : la maison de Fengming, la cabane de Trois Sœurs du Yunnan. Il s’agit ici de franchir deux murs à la fois: celui d’une institution et celui de l’intime. Comme les cabines d’un navire, la porte d’entrée des chambres donne sur une coursive. Celle-ci arpente le périmètre carré de la cour interne du bâtiment. Elle ressemble à la voie principale des villages chinois dont la vie active, pendant les heures du jour, se passe souvent sur le seuil des maisons, à cette nuance près qu’une grille en fer ferme la coursive de la balustrade jusqu’au toit, empêchant les patients de se jeter dans le vide, mais permettant la communication entre étages – plus d’un en profite pour entre - tenir des conversations amoureuses avec l’autre étage et formuler, ou recevoir, des propositions sexuelles tantôt désinvoltes, tantôt irréalistes. Dans ce ruban d’un mètre de largeur, où se déroule une bonne partie du film, les patients bivouaquent, se lavent, urinent,
fument, discutent entre eux."
...


En bonus, quelques extraits d entretien empruntes au site Mediapart: Pour en connaitre davantage, faudra s abonner :)
http://www.mediapart.fr/journal/cul...ents-politiques-font-irruption-dans-mes-films


A l'Ouest des rails

N’avez-vous jamais été en butte aux autorités pendant le tournage de À l’ouest des rails ?

J’ai été très prudent. J’évitais de parler du film autour de moi. Si tout s’est bien passé, c’est aussi que j’ai réussi à nouer de bons rapports avec ceux que je filmais. Avec les ouvriers d’abord, avec qui je communiquais facilement. Ils ont tout de suite accepté d’être filmés dans leur intimité, en train de se battre, de manger, de se couper les cheveux, de descendre sous terre... Ces images sont les premières images que j’ai enregistrées. Dans les usines, tout le monde était chaleureux avec moi à l’exception d’une seule personne, qui s’appelait Zhou Dexing. Zhou Dexing était contremaître à la fonderie, dans la première étape de production. C’est un homme très intelligent. On le voit en réunion avec les ouvriers, la dernière avant la fermeture. Il m’a laissé filmer librement dans son atelier mais, sans être vraiment hostile, il restait sur ses gardes. J’ai compris ensuite qu’il était déjà au courant des faillites. Il m’a dit un jour une phrase qui m’a surpris et convaincu de son intelligence : « Il n’y a plus d’usine, mais on peut encore utiliser les images que tu as tournées. »

Je me suis très bien entendu également avec les chefs des différents ateliers. Ce ne sont pourtant pas des gens avec qui il est facile de communiquer. Ce sont plutôt des voyous. Le cadre supérieur ne peut pas gérer les ouvriers directement. Ce sont donc les contremaîtres qui s’en chargent, et ils n’hésitent pas à imposer leur autorité par tous les moyens, la violence, la ruse. Cela ne se voit pas forcément dans le film mais les usines sont des lieux très violents. Il était fondamental que j’aie de bons rapports avec les contremaîtres. Je savais que s’ils me laissaient filmer, aucun ouvrier n’interviendrait. Tout en gardant mon calme, j’étais très nerveux intérieurement. Je savais qu’ils pouvaient changer d’attitude du jour au lendemain, il fallait donc que je reste méfiant.

Aucun incident n’a eu lieu ?

Si. Je vous raconte une anecdote. Le tournage touchait à sa fin. Au mois d’août de l’année 2000, après avoir filmé à l’hôpital, je suis retourné dans l’atelier du cuivre, car je savais qu’il allait fermer. Je suis arrivé devant la porte de l’usine, j’ai fait quelques tours sans parvenir à entrer. Des agents de police patrouillaient à chaque carrefour... Je connaissais certains des gardiens. Leur chef m’a vu et m’a conseillé de partir. Je lui ai expliqué que j’étais venu visiter la fonderie. Il m’a autorisé à entrer avec Zhu Zhu. C’est à ce moment-là que j’ai tourné la scène dans l’atelier du cuivre et dans l’ancien atelier du plomb désormais vide... En partant nous avons croisé une équipe chargée du démantèlement. Les ouvriers nous ont proposé de manger avec eux. Je sentais qu’il était plus raisonnable de refuser mais nous avons fini par accepter. J’étais malgré tout très nerveux. Ils ignoraient qu’il y avait une caméra dans mon sac. Un officier de la police est arrivé et s’est mis à distribuer à chaque gardien ses ordres de mission pour le lendemain. Il m’a demandé ce que je faisais là. J’ai répondu que j’étais étudiant en photo aux Beaux-Arts. Je savais que ce policier était ami avec un des contremaîtres. Sans poser d’autres questions il est parti en disant qu’il allait revenir dans quelques minutes…

Je me suis alors souvenu d’une histoire que j’avais entendue autrefois dans le train qui relie Xi’an à Pékin. C’est un train qui roule très lentement, le trajet dure vingt heures. Deux voyageurs discutaient à côté de moi. Lorsque le convoi a traversé la province du Henan, l’un a raconté à l’autre l’histoire d’un homme qui vivait dans le Henan et qui faisait du trafic de drogue dans le Shaanxi. Deux policiers du Shaanxi arrivent dans le Henan pour l’arrêter. Au lieu de se rendre directement chez lui, ils vont prévenir les policiers du commissariat local. Les policiers vont trouver l’homme, chez lui, occupé à réparer son vélo. Sans l’arrêter, ils se contentent de lui demander de se présenter au commissariat quand il aura terminé. L’homme répond qu’il ira après s’être acheté des cigarettes. Il va s’acheter des cigarettes puis se rend au commissariat. Il est arrêté et, plus tard, est exécuté au pistolet. Cet idiot n’avait pas compris que la police locale lui avait donné une chance de se sauver. Ou peut-être avait-il décidé de ne pas saisir cette chance… La morale de l’histoire est que les policiers utilisent un langage codé. Quand l’officier m’a dit qu’il s’absenterait quelques minutes, j’ai compris qu’il me donnait une chance… Si j’avais été encore là à son retour, il m’aurait fait des problèmes. Dès qu’il est parti, Zhu Zhu et moi avons dit aux ouvriers que nous étions pressés de rentrer et nous avons pris un taxi au premier croisement… Je ne suis plus jamais revenu.

...

Quel genre de problème pose un film comme celui-ci ?

J’ignore la raison d’une telle interdiction…

Sans doute considère-t-on que vos films racontent quelque chose de la Chine qu’il ne faudrait pas raconter.

Bien sûr. Mais il faut le raconter.

Pourriez-vous un jour réaliser un film hors de Chine ?

Pourquoi pas. Si je continue à tomber malade, cela risque toutefois d’être difficile !

Estimez-vous que vos films sont des documentaires ?

Les documentaires ont longtemps eu une fonction de reportage. Mes films n’ont pas cette fonction. Les reportages expliquent brièvement un événement au spectateur. Les films de cinéma, eux, racontent l’histoire des gens et expriment leurs sentiments. On peut dire que mes films sont des documentaires, on peut aussi les appeler autrement, en tout cas ils n’ont pas valeur de reportage. Si on débarrasse un documentaire des éléments de reportage, il devient plus pur, plus proche du cinéma.

D’un autre côté mes films ne sont pas des fictions. Ce sont des documentaires qui ressemblent à des fictions. Je n’avais aucune expérience documentaire lorsque j’ai entrepris À l’ouest des rails, mais j’avais participé à quelques fictions et à des séries télé, je connaissais les différentes combinaisons de plan… Le seul documentaire que j’avais vu était Chung Kuo, (La Chine, 1975) de Michelangelo Antonioni. ...

...

Les trois soeurs du Yunnan

Comment avez-vous rencontré cette famille ?

En avril 2005, j’ai lu Histoire de Dieu (Shengshi) de Xunshi Xiang, un roman qui se passe dans la province du Yunnan. J’ai eu alors l’envie de réaliser un film adapté de cette histoire. Après le tournage du Fossé, j’ai entamé des recherches et décidé d’aller visiter l’endroit où se déroule l’action, de rencontrer l’entourage de l’auteur… Mon équipe et moi, nous sommes allés en voiture de Pékin jusqu’à Qiaojia, et à Zhaotong, une ville dans la province du Yunnan. Nous avons parcouru plus de trois mille kilomètres en trois jours, du nord au sud. Nous avons traversé le fleuve Jaune, la province du Shaanxi – d’où je viens –, la province du Sichuan, pour finalement arriver dans la province du Yunnan, où se trouve la source du Yangzi (fleuve Bleu), ou Jinshajiang, littéralement « le fleuve de sable doré ». ...

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... Nous avons marché de trois mille deux cents mètres à trois mille cinq cents mètres, jusqu’à la tombe de Xunshi Xiang. Elle est très belle. Elle se trouve sur le principal sommet de Dahongshan (« la montagne du déluge » ), en face d’une autre très haute montagne, surnommée Yaoshan (« la montagne de la médecine »). La vue est sublime. Nous avons rendu hommage à l’auteur puis sommes descendus dans un village situé à deux mille deux cents mètres. C’est là que j’ai rencontré Yingying et ses deux sœurs. Elles jouaient par terre, dans la boue. Je suis allé leur parler par curiosité, pour leur demander leur prénom, où était leur famille, leurs parents, etc. Manifestement elles vivaient seules. Yingying m’a dit que son père était parti travailler. Je leur ai proposé de jouer avec elles, de les accompagner jusqu’à leur maison. En arrivant là, j’ai eu l’impression d’étouffer. C’était la première fois que j’étais témoin d’une telle pauvreté. Une expression chinoise (chengyu) m’est tout de suite venue à l’esprit : « Yipin ruxi », « être aussi pauvre qu’après le bain ». Être sans rien, autrement dit, sans le sou, tout nu…
Les trois sœurs n’ont pas peur comme nous de ce genre de vie, de la pauvreté… Elles sont pleines d’une vitalité naturelle. ...

...

Vous dites que vous n’aviez jamais vu une telle misère. Vous aviez pourtant déjà tourné L’Homme sans nom.

L’Homme sans nom n’est pas victime de la pauvreté. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il soit mécontent de sa vie ou qu’il ait à s’en plaindre… C’est un choix individuel. Les trois sœurs, elles, n’ont pas choisi de vivre dans une telle situation.

Sont-elles les seules de cette région à connaître une telle misère ?

Leur vie est pire que celles des autres, mais toutes les familles du village sont dans la même situation qu’elles, au fond, sans aucun avenir… La vie est souvent ainsi sur le cours supérieur du fleuve Bleu : dans le Sichuan, le Yunnan, l’ouest du Hunan (Xiangxi), le Guizhou, il y a des régions très pauvres. Il y a des régions plus riches dans le Sichuan, mais pas à l’ouest.

...

Comment les choses se sont-elles organisées quand vous êtes revenu dans la région pour tourner ?

Un an s’est écoulé entre ma première visite et le tournage des Trois Sœurs du Yunnan. J’ignorais si la vie des trois sœurs avait changé entre-temps. Je connaissais mal l’endroit. Nous n’avions pas réellement préparé les choses. Nous nous sommes juste munis d’un peu de matériel, avons acheté du riz local, puis sommes montés au village. Nous avons distribué du riz en quantité dans toutes les familles.

Dans le but de vous assurer leur soutien ?

Pour les aider, plutôt. Quand nous sommes arrivés sur la montagne, Yingying était en train de jouer avec son grand-père et quelques garçons. Nous avons alors expliqué au grand-père que nous voulions tourner un film. Il a donné son accord.

Quelles questions vous a-t-il posées ?

Aucune. Je lui ai juste dit que nous souhaitions réaliser un documentaire sur ses petites filles. Ceux qui vivent dans ces régions sont des gens très simples. Comme le sommet de la montagne est élevé, et le tournage en montagne difficile, nous avions emporté deux caméras. Le cadreur et moi avons commencé à tourner jour et nuit. Le père est rentré le deuxième ou le troisième jour. Cela tombait plutôt bien, mais le lendemain il a décidé de ramener ses deux plus jeunes filles à la ville. Le tournage a donc dû s’interrompre. Pendant quelques jours, nous avons continué à filmer Yingying, puis nous sommes partis. Je devais retourner à Pékin pour partir à l’étranger et me rendre dans plusieurs festivals. Le tournage a repris une vingtaine de jours plus tard. Quand nous sommes revenus, seule Yingying était là. Nous l’avons filmée. Je suis tombé malade au moment où elle est allée dîner avec un voisin. La scène est dans le film.

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Sa petite amie de Xi'an, étudiante courageuse

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Après Tian'anmen, tous les étudiants de 1989 ont été envoyés à la campagne pour une rééducation d’un an. Elle a été envoyée travailler dans la région où se situe le camp du Fossé. Elle se portait bien, physiquement. Mais c’était une expérience douloureuse sur le plan psychologique. Le 1er mai 1990, je suis allé lui rendre visite en train depuis Xi’an. C’est là que j’ai découvert le désert de Gobi. Quand le vent soufflait très fort, on ne pouvait même pas rester debout. Je me souviens de la majesté des paysages, du ciel sombre et si bas qu’on pouvait croire que les nuages allaient tomber. Je suis resté deux jours avec elle, puis j’ai voyagé seul en train. Pendant tout un mois je n’ai fait que traverser le Nord-Ouest. Je m’arrêtais à chaque gare. J’ai visité Anxi, Donghuang, Jiayuguan – le début de la Grande Muraille. C’étaient encore les anciens wagons, ceux qu’on appelle « les wagons à la peau verte ». On les a utilisés très longtemps. Ils roulent très doucement. C’est grâce à ce grand tour en solitaire que j’ai pu avoir pour la première fois une vision de cette région. Je profitais de l’occasion et de la solitude pour réfléchir à ma vie. J’avais des doutes sur mon avenir… Je ne l’ai jamais regretté, ce voyage a changé ma vie. Cette histoire a sans doute moins d’importance que mes films. Mais c’est grâce à ce voyage, et grâce ensuite à ma découverte du livre de Yan Xianhui, que j’ai pu visualiser les images de la vie dans le Nord-Ouest de la Chine.

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Et l’histoire politique de votre amie et de ses camarades ?

Je ne pense pas non plus. J’évite en général de raconter des événements politiques. Ce sont plutôt les événements politiques qui font irruption dans mes films.

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Dernière édition:
Continuons a rendre hommage a son travail:
Fengming, chronique d'une femme chinoise
2007
Sous titre en anglais.
 
Merci, j'ai souvent entendu parler de son travail, quelques liens reconnus pour les voir en streaming ? Lequel selon vous serait à voir en premier, le plus "abordable".
 
Pour le plus abordable ?
Bonjour,
L idéal serait de découvrir ces documentaires en respectant leur chronologie. Enfin, c est une piste/suggestion.
Par conséquent, commencer par a l ouest des rails, ce qui tombent car dispo en Chine :)